Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
de TF1 ou d’Antenne 2, et m’a demandé si je voulais rejoindre l’équipe qui allait préparer le projet. Dans l’état où je suis, la proposition était tout aussi inattendue qu’inespérée. Je l’ai refusée immédiatement, à table, pour deux raisons. La première, c’est que le conflit d’intérêts me paraissait évident : difficile de quitter la Haute Autorité pour exploiter aussitôt mes connaissances en matière d’audiovisuel au sein d’un groupe privé. Aussi parce que la seule envie qui était la mienne, cet été et depuis quelques mois déjà, était de retourner au journalisme. Grand seigneur, Bouygues m’a laissé entendre qu’il comprenait, et qu’on se retrouverait.
À vrai dire, je préfère la proposition que m’a faite Jean-Luc Lagardère, début juillet. Nous étions dans un dîner, près de Paris, auquel Michel Giraud m’avait conviée. Jean-Luc Lagardère est venu vers moi, nous avons parlé de la loi audiovisuelle en préparation, il a tout de suite compris que j’allais être liquidée et m’a proposé de reprendre du service à Europe 1 : un commentaire politique, parallèlement à celui d’Alain Duhamel à 7 h 20, que je ferais donc après lui, le matin, vers les 8 heures. Sans doute ne saurai-je jamais pourquoi Jean-Luc Lagardère, que je connaissais à peine, a eu ce geste envers moi. Aucun renvoi d’ascenseur, puisque la Haute Autorité n’avait jamais eu à travailler avec Europe 1 et qu’il n’en avait jamais rien attendu.
J’avais prévenu Lagardère : il me faudrait six bons mois au minimum pour reconstruire mes réseaux d’information. Pendant six ans, je suis passée de l’autre côté du miroir. Je n’ai assisté à aucun congrès, à aucun meeting. La classe politique s’est régénérée. De plus jeunessont arrivés, que je ne connais pas. Je me suis vraiment coupée de mes sources, je n’ai pas ou plus d’amis politiques, moins encore d’informateurs. Depuis 1981, j’ai fait tout simplement autre chose que du journalisme, même si j’ai continué à remplir ces carnets.
Je me rappellerai toute ma vie, en tout cas, l’attitude de ces deux hommes, deux grands patrons que je ne connaissais pas. Ou à peine.
16 juillet
Finalement, le texte que Chirac avait demandé à Toubon de préparer, il l’a prononcé tout à l’heure à la télévision, au 20 heures. C’était la première fois depuis mars qu’il utilisait la procédure du droit de parole gouvernemental. Pour dire évidemment que Mitterrand ne respectait pas le verdict des urnes, mais que lui, Chirac, conscient de ses responsabilités, ne déclencherait pas de crise 4 .
Fin du premier accroc à la cohabitation. Qui a fait deux sortes d’heureux. Les socialistes, d’abord, « heureux, comme me le dit Claude Estier, de ne pas se battre tout seuls ». Et puis les barristes : Raymond Barre était hostile à la cohabitation ; il se tait, mais c’est Philippe Mestre, son ancien directeur de cabinet à Matignon 5 , qui souligne dans les couloirs de l’Assemblée qu’il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que Barre ait eu raison 6 !
Qui a gagné, qui a perdu ? Mitterrand a montré qu’il ne se laissait pas faire. Et Chirac a résisté à la provocation. Pour lui dont tout le monde dit qu’il est d’une excessive nervosité, il a en tout cas fait la démonstration de sa faculté d’encaisser. Le Président, me dit-on à Matignon, a unilatéralement modifié le modus vivendi de ces quatre derniers mois.
17 juillet
Ce qui me fait rigoler, c’est que Mitterrand, son coup fait, s’est empressé de signer, hier, l’ordonnance sur l’emploi des jeunes.
« Mitterrand aurait mieux fait de démissionner, me dit Jacques Toubon, et de faire trancher le débat par une nouvelle élection présidentielle. » Tu parles, il n’allait pas leur faire ce cadeau ! La vérité est que, chacun de leur côté, Chirac et Mitterrand ont joué au poker. Mitterrand, comme cela se confirme, avait bien dit à Chirac, en avril, qu’il ne signerait pas un texte sur les privatisations, et Chirac a pensé qu’il n’aurait pas le front de le faire, qu’il calerait au dernier moment. Mitterrand a pensé, lui, qu’il ne risquait rien, si ce n’est de pousser Chirac à la guerre, ce qui ne lui fait pas peur à partir du moment où le Premier ministre n’a aucune chance de contraindre le Président à la démission.
21 juillet
Conférence de presse minimaliste
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