Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
de Catherine Nay, la plupart des faits mis en scène par Péan. De là à ce que celui-ci fasse avec son autorisation le récit de son passage par Vichy !
Un livre de Pierre Péan aurait pu être contesté par d’autres historiens, par d’autres connaisseurs de la vie de Mitterrand, par d’autres témoins peut-être. À partir du moment où il a été autorisé, où Péan a vu plusieurs fois le Président, rien à dire, sinon à considérer comme vrai ce qui est écrit. Encore une fois, cela n’ajoute rien à ce que beaucoup d’observateurs connaissaient déjà. Ceux qui ont travaillé sur la collaboration et Vichy savent que, de 1940 à 1943, c’est-à-dire jusqu’à la bataille de Stalingrad, l’Histoire n’était pas toujours écrite en noir et blanc, mais en gris.
En tout cas, le trouble est considérable, pas seulement chez ceux des Français qui, lui étant depuis toujours hostiles, trouveront dans les pages de Péan de quoi nourrir leur antipathie, mais encore plus chez les socialistes dont bon nombre font semblant de découvrir intégralement l’itinéraire de Mitterrand, bien prudent au sortir d’une longue captivité et de plusieurs évasions, au début des années 1940, puis engagé du bon côté dans les années qui ont suivi.
Au surplus, dans cette émission pathétique, il poursuivait sans doute deux objectifs : montrer que la vérité d’un homme est toujours plus complexe qu’on ne croit. En disant à l’antenne que le régime deVichy était « essentiellement condamnable », le moins qu’on puisse dire est qu’il a employé un euphémisme qui est loin d’être du goût de tout le monde. Le second objectif de ce passage, j’allais écrire aux aveux, de Mitterrand, était de montrer que, malgré sa maladie, il était en mesure de terminer son mandat. Après cette émission, malheureusement, le doute n’est pas levé. Qu’il dispose de l’intégrité de sa tête et de sa réflexion, c’est évident. Que, physiquement, il soit en état de supporter toutes les fatigues de la présidence, surtout à la veille d’assumer la présidence française de l’Europe, de cela personne n’a été convaincu ce soir. J’en souffrais presque pour lui.
22 septembre
Les voilà, dans la jolie petite ville de Colmar, les fameuses journées parlementaires du RPR tant attendues : par Chirac pour réaffirmer son leadership sur le parti gaulliste, par Balladur pour démontrer son emprise sur les parlementaires. Résultat : une première journée Chirac, une seconde journée Balladur. De quoi faire perdre leur latin aux parlementaires que leurs réflexes de prudence amènent tout naturellement à ménager le chou et la chèvre (qui est le chou, qui la chèvre ?)
Première journée, donc, que Philippe Séguin a placée sous le signe de l’exclusion en redisant avec force, en ouverture, que la lutte contre le chômage est aujourd’hui la priorité de la nation. L’impératif, pour lui, est l’« exclusion zéro » ! Il insiste sur le fait que le chômage continue de croître indépendamment de la situation économique et de la croissance. Qu’il se propage en se diffusant à tout le corps social comme – c’est la métaphore qu’il emploie – cinq enfants à la traîne perturbent une classe entière.
Chirac est venu à Colmar avec Alain Juppé. Il sait qu’il a le soutien de la plupart des parlementaires RPR dont celui, essentiel, du président de l’Assemblée nationale. Il est remonté comme une pendule, décochant dans son intervention quelques flèches au curare à Balladur, sous prétexte de condamner « les approches strictement gestionnaires », vantant les beautés de la promotion sociale, s’inscrivant dans la filiation gaulliste. Très applaudi.
Après lui, Édouard Balladur, plus modéré, plaide la nécessité d’une méthode souple face aux difficultés du moment, et met en garde les élus contre les dangers d’un repli sur eux-mêmes.
L’un est volontariste, l’autre pragmatique. À vrai dire, ils secomplètent – ou plutôt se complétaient – assez bien. Appartenant au même parti, et pourtant opposés l’un à l’autre, derrière leurs airs de ne pas y toucher ils déroutent les parlementaires qui les écoutent et qui voudraient bien que les deux hommes se donnent la main. Ce ne sera pas pour cette fois.
Chacun s’en rend compte : viendra un moment où eux, les élus, seront bien obligés de choisir leur camp, ce qui empoisonne par
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