Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Delors, cet engagement-là ne soit pas suffisant.
20 octobre
Le rythme s’accélère. Avant-hier mardi, Édouard Balladur a convoqué de bonne heure Alain Juppé, tout juste rentré d’un voyage dans le Golfe. La présence et le rôle d’Alain Juppé, ministre de Balladur, dans le comité de soutien de Jacques Chirac avaient l’air de poser problème au Premier ministre. Pas une once de courroux, pourtant, dans la voix d’Édouard Balladur, pas le moindre couteau sous la gorge d’Alain Juppé. Arrivé le premier dans le bureau de Balladur, celui-ci a eu la surprise d’être rejoint par Charles Pasqua, puis, quelques instants après, par François Léotard. À tous trois, Balladur a tenu le même langage qui pourrait se résumer en une phrase : tant que je suis à Matignon, vous faites ce que vous voulez, mais je reste le patron.
Tout cela est bel et bon, et on peut comprendre que Balladur ne laisse pas son gouvernement partir en quenouille. Mais, franchement, à force de nier que Chirac et Balladur sont tous deux candidats, n’avons-nous pas atteint l’extrême limite de l’hypocrisie ? La réalité est celle-ci : le RPR n’est pas seul à être divisé par la double candidature. L’UDF aussi : Valéry Giscard d’Estaing sent bien que Balladur empiète sur son espace politique et qu’au sein de son mouvement, de plus en plus nombreux sont ceux qui prennent position pour lui dès le premier tour. Alors, que va-t-il faire, Giscard ? Laisser filer les élus, les dirigeants UDF vers Balladur, sans broncher, en en prenant son parti ? Va-t-il susciter une candidature UDF sans aucun espoir de succès ?
Pour l’heure, lui aussi gagne du temps : il s’efforce de garder sestroupes, ou ce qu’il en reste, assemblées autour de lui, même si François Léotard a depuis longtemps fait savoir que Balladur serait le meilleur président de la République pour la France. Quant à Alain Madelin, isolé dans son Mouvement républicain, il vient de lancer un rassemblement autonome, baptisé « Idées-action ». Lors du premier dîner de cette association, auquel avaient été invités tous les leaders de la majorité, Alain Madelin a montré de quel côté penchait son cœur. En disant que la société française était en panne, que l’ascenseur social ne fonctionnait plus, il a désormais semblé plus proche de Chirac que de Balladur.
Pauvre UDF, en miettes plus encore que le RPR ! Entre Giscard qui laisse entendre qu’après tout, pourquoi pas ?, Raymond Barre, qui se ferait une douce violence, Charles Millon qui piaffe, qui peut penser que l’un d’entre eux, n’importe lequel, aurait quelque chance face au duo Balladur-Chirac ? Balladur a volé le fonds de commerce de l’UDF, voilà la réalité. Je comprends que Giscard en soit déconfit.
25 octobre
Jean-Jacques de Peretti, proche collaborateur d’Alain Juppé, me rapporte aujourd’hui seulement la conversation que François Mitterrand a eue avec celui-ci pendant l’été 1993, il y a plus d’un an, alors que Balladur était à Matignon depuis quelques semaines seulement. À la fin de juillet, Juppé a déjeuné chez des amis communs, à Hossegor, avec le président de la République. Jean-Jacques de Peretti était lui aussi convié.
« L’avenir ? Si j’avais aujourd’hui le cœur qui lâchait, a dit Mitterrand, ce serait Chirac qui me succéderait. Mais il devrait faire attention à Balladur. On ne va pas à Matignon pour aller à Matignon. Croyez-moi, on va à Matignon pour aller à l’Élysée ! »
Il a ajouté avec malice : « Je vous dis cela, mais moi, je n’y suis jamais allé... »
Juppé avait-il rapporté ces phrases de Mitterrand à Chirac ? Elles prouvent en tout cas que le duel entre Chirac et Balladur pour la Présidence de la République était dès le début prévisible, sauf par Chirac lui-même qui ne voulait alors rien voir ni entendre.
26 octobre
Hier, mercredi 26, jour de son anniversaire, François Mitterrand a eu un malaise en Conseil des ministres. Alain Lamassoure, qui remplaçait Juppé, en déplacement, faisait une interminable communication sur la politique internationale. Tout à son sujet, il est le seul à n’avoir rien vu. Michel Barnier m’a raconté que Mitterrand, comme transpercé par la douleur, s’est replié sur lui-même, le souffle coupé. Puis il a sorti de sa poche un cachet qu’il a mis dans sa bouche sans dire un mot. Mais il a eu alors un second malaise :
Weitere Kostenlose Bücher