Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
revenus de Gérard Longuet, faisant ainsi peser sur lui un soupçon d’enrichissement personnel.
Longuet a décidé de se défendre : il ne quittera pas le gouvernement, et donc, Balladur lui a aujourd’hui donné raison. Il faut dire que l’enjeu est de taille : le Premier ministre a besoin du soutien d’une partie de l’UDF, donc du Parti républicain, s’il se présente en 1995. Ce n’est pas le moment de le voir exploser.
À l’issue des deux journées parlementaires de la majorité, rien n’a bougé, aucun des deux candidats putatifs n’a fait un pas en arrière. Et pas davantage de pas en avant. Le suspense continue.
3 octobre
Aparté entre l’UDF Philippe Vasseur 43 et Bernard Tapie dans les salons proches de l’hémicycle, à l’ouverture de la session parlementaire, aujourd’hui. Je demande à Vasseur, quelques instants plus tard, ce que les deux hommes se sont dit. Tapie aurait mis Vasseur en garde : « Sais-tu, lui a-t-il demandé, qui Jean Peyrelevade a pris pour le seconder ?
– Non.
– Pascal Lamy. Et qu’est-ce qu’il va faire, Pascal Lamy ? Aider Delors. Donc, le Crédit Lyonnais 44 va aider Delors. Si vous ne m’aidez pas à me débarrasser de Peyrelevade, je vous le dis, vous serez foutus ! »
10 octobre
Rencontré aujourd’hui Philippe de Villiers qu’on appelle, depuis sa campagne anti-européenne, « le Le Pen chic ». Après son succès 45 ,il se sent, à droite, devenu incontournable. L’âge glisse sur lui comme l’eau sur les plumes d’un canard. Sur son visage étroit, aigu, sous sa chevelure abondante, il a gardé le même air d’adolescent grandi trop vite, jamais en retard d’une vacherie ni d’un bon mot, l’air d’un potache auquel la politique fait depuis toujours les yeux doux. Non, il le sait, il n’a pas la moindre chance d’être élu à la présidentielle : il se fixe à lui-même, pour me démontrer sa lucidité, le cap de 3 à 4 % des suffrages. Pas du tout assez pour être au second tour. Assez pour être présent lors de la redistribution des cartes qui suivra.
12 octobre
Long entretien avec Bernard Bosson 46 au sujet des éventuelles candidatures de Jacques Delors et d’Édouard Balladur. L’entretien a lieu alors que – le fait n’est pas indifférent – pour la première fois, cette semaine, Delors précède d’un petit point Édouard Balladur dans les sondages. Je demande à Bosson si Delors est plus attrayant que Balladur aux yeux des démocrates sociaux. Après tout, Delors est catholique, démocrate et social : il pourrait sans difficulté séduire les troupes centristes.
« Soyons clairs, me répond-il. Je suis un ami de Delors, sans doute le plus proche qu’il ait au CDS. Mais il est candidat de l’autre camp. Je ne suis pas de ceux qui choisiront l’autre camp. Donc, je serai son adversaire, derrière Balladur si Balladur est candidat. »
C’est aussi le sentiment de Jacques Barrot, lui aussi CDS : « Nous avons la chance, me dit-il, de pouvoir figurer dans cette élection, non pas directement, nous autres centristes, mais avec un candidat qui est plus partisan de l’Europe que Chirac. Je ne vois pas en quoi on devrait investir quelqu’un d’autre. Personne ne serait crédible, et d’ailleurs personne ne veut y aller. Charles Millon ? Ce serait catastrophique pour l’idée qu’on défend. Nous démontrerions que le candidat de l’UDF ne peut recueillir qu’une petite minorité des suffrages. Et puis, se rallier à Balladur tout de suite après son élection, à vingt heures une ? Après avoir fait semblant de ne pas être des siens jusqu’à vingt heures ? Ce serait d’un ridicule ! » Au reste, ajoute-t-il en révélant le fond de ce qu’il pense, « peu importe : Jacques Chirac est plus loin de nous que Balladur ».
Et si Delors gagne ? « On verra bien. Ce sera une nouvelle cohabitation. » Il songe déjà que, de toute façon, si Delors est élu, il sera possible, pour les centristes, de se rattraper aux branches, avec l’un d’eux, si besoin est, à Matignon.
« L’atout véritable de Delors, aux yeux des centristes, me dit-il encore, c’est véritablement l’Europe et sa proximité avec Helmut Kohl. Pour les centristes, la chrétienté et l’Europe, oui, ce sont bien des cartes maîtresses. »
Si j’ai bien compris, les centristes voteront Balladur au premier tour, et ils espéreront en la victoire de Delors. Je crains fort que, pour Jacques
Weitere Kostenlose Bücher