Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
avance l’année présidentielle.
Je déjeune à côté de Philippe Séguin et l’entends parler, à propos de Mitterrand et du livre de Pierre Péan, de Vichy en des termes proches des miens, disant que l’histoire n’en a pas été en noir et blanc, mais en gris, devant des journalistes plus jeunes que moi qui ouvrent de grands yeux. Sur le chômage, l’Europe, le franc fort, Séguin n’a pas varié d’un pouce. Il l’a dit avec force, tout à l’heure. Son autre préoccupation, plus politique celle-ci, est de maintenir contre vents et marées l’unité du RPR, menacée par un duel éventuel entre Balladur et Chirac. Rien de moins commode. Il pense que c’est une nécessité si l’on veut éviter que le parti gaulliste souffre d’un échec de l’un d’entre eux.
« Il ne faut pas que le RPR se perde, si Chirac perd, me dit-il. Mais il faut tout de même lui permettre de tenter sa chance. »
L’idéal, pour lui, serait qu’un débat s’instaure à l’intérieur du parti gaulliste entre Chirac et Balladur. Deux voies resteraient alors ouvertes au RPR qui échapperait ainsi à l’antagonisme entre les deux hommes.
Je lui souhaite bien du plaisir...
Dans l’après-midi, Alain Juppé est plus explicite en prônant pendant plus d’une heure l’unité du parti gaulliste : « Il ne faut pas pratiquer la politique de l’autruche, dit-il, mais regarder la réalité en face ; dans la perspective de l’élection présidentielle, il y aura plusieurs candidats dans nos rangs. Le mieux serait que se dégage une candidature d’union. Comment ? Des primaires ? Nous y sommes prêts, mais la balle est dans le camp des candidats potentiels. »
Autrement dit, ces primaires n’auront pas lieu.
Ces journées parlementaires sont destinées à gagner du temps : sans préjuger de l’avenir, tout le monde – Chirac, Balladur, Séguin, Juppé – a joué l’attentisme. Condition pour que, comme le Veau d’or, le RPR reste encore debout.
À noter qu’un proche de Séguin m’a raconté, à un autre moment du déjeuner, quand et à l’occasion de quoi Charles Pasqua s’était véritablement mis à douter de Chirac. Cela ne date pas tant de son échec à la présidentielle de 1988 que de son refus de condamner Maastricht. Séguin, qui écoute le récit qu’on me fait, approuve du chef. Pasqua était persuadé que si Chirac avait osé dire non à Maastricht, il aurait obligé Mitterrand à s’en aller dès 1992, et qu’il serait depuis cette date président de la République. On ne refait pas l’Histoire...
Seul moment de détente dans une atmosphère nouée : nous nous échappons en fin d’après-midi pour aller visiter le joli petit musée de Colmar sous la houlette du conservateur, requis par Jacques Toubon 41 .
Ont suivi les journées parlementaires UDF à Vittel. Force est de reconnaître que Balladur a été mieux récompensé à l’UDF qu’au RPR. Il est venu, accompagné de plusieurs ministres. Il a vu quelques députés désemparés en quête de réconfort. Il a vaincu : Édouard Balladur a fait un véritable tabac. Pourtant, l’atmosphère était tristounette à l’intérieur du palace désuet de la ville d’eaux, après la mise en cause par le juge Van Ruymbeke de Gérard Longuet et du financement du Parti républicain dont il est le président.
Eh bien, Balladur a soutenu Gérard Longuet 42 devant le Parti républicain, tordant le cou au passage à la jurisprudence Bérégovoy selon laquelle tout ministre mis en examen doit quitter le gouvernement avant que la Justice ne se prononce. Il a gagné, ce faisant, et pour longtemps, le cœur de Longuet et des dirigeants du PR. Et il est parvenu en même temps à déjouer les plans de ceux qui, comme VGE ou Charles Millon, souhaitaient présenter un candidat à eux à la présidentielle. Bref, une réussite sur tous les plans.
Sauf, peut-être, sur celui de l’opinion publique : il faut voir ce que deviendra cette victoire tactique et politique d’Édouard Balladur lorsque plusieurs de ses ministres, et non des moindres, seront à leur tour mis en examen. Car, évidemment, l’affaire baptisée « Longuet » porte en fait sur le financement occulte du Parti républicain. Elle a pour origine une commission versée, depuis des années, en espècesà un certain René Trager par la société Pont-à-Mousson. Et puis, comme souvent, l’enquête a dévié sur un examen exhaustif du patrimoine et des
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