Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
député-maire de Tarascon, celui de Saint-Tropez, Comiti et Muselier qui viennent de Marseille. Et puis les élus niçois, évidemment : Charles Ginésy, Fernand et Jean Icart, Pierre Pasquini.
Nous passons sous le chapiteau. Combien de monde dans la salle ? Beaucoup : cinq, six mille, peut-être. Un public très populaire, qui n’a rien à voir avec celui qui venait applaudir Balladur dans la Sarthe, par exemple. Un public qui manifeste à grands cris sa chaleureuse adhésion au candidat gaulliste. C’est Pierre Pasquini 16 qui ouvre le feu en parlant le premier. Il tutoie Chirac pour bien marquer sonintimité avec lui : « Tu m’as envoyé en Corse en 1978, dit-il en s’adressant à lui. Je l’ai fait et je continue à le faire. Si les Corses sont souvent des gens difficiles, ils ont une qualité, ils sont fidèles. Je viens te promettre, devant quelques milliers de témoins, que tu seras le vainqueur dans ma région et mon département ! » À ces mots, les Corses venus de l’île de Beauté dans la matinée manifestent avec vigueur leur présence.
Lorsque Pasquini a cette phrase : « Tu as vaincu les obstacles de la déception et de la trahison », le public de militants applaudit alors à tout rompre. Oui, je me dis que, dans la remontée de Chirac depuis la fin février, l’effet « Guignols » – Chirac, transpercé de coups de poignard – a compté beaucoup plus qu’on ne pouvait le penser.
Chirac ne fait pourtant pas grand-chose pour conquérir son auditoire plus qu’il n’est déjà conquis. Il reste raide à la tribune, assez différent de celui qu’il était il y a à peine deux heures, dans l’avion, malgré l’habitude qu’il a de ce genre d’exercice. Il ne fait pas un effort pour s’écarter de son texte qu’il a placé sur un pupitre devant lui. Pas un effort pour inventer une nouvelle formule, un autre « truc » destiné à chauffer la foule. Peut-être a-t-il raison : au bout du 28 e meeting, si on ne se ménage pas pour ceux qui suivent, on risque de ne pas tenir le coup. C’est ce que m’explique Bernard Pons, toujours attentif, toujours prêt à répondre à une critique encore informulée sur son líder maximo ...
Cela étant, le texte est efficace. On y retrouve tous les grands axes de sa campagne : l’idée et les valeurs républicaines, le pacte républicain qui s’affaiblit « quand la fracture sociale se creuse », la cohésion nationale qui ne résiste pas au chômage de masse, la volonté politique sans laquelle on ne fait rien (« Je n’accepte pas l’idée selon laquelle nous n’aurions prise sur rien »), l’exclusion qu’il faut combattre. Ce qui me frappe, c’est l’orientation sociale de son discours, qui s’accentue, me semble-t-il, depuis le début de la campagne. Cela lui permet d’attaquer sans le dire son rival à droite, accusé « d’avoir une vision statique et comptable des choses », sans pour autant s’attaquer à Jospin puisqu’il souhaite que celui-ci arrive au second tour.
En ce qui concerne ce programme, il prend soin de dire que ce sera celui de son prochain gouvernement : façon de souligner également sa différence avec Balladur qui est, lui, chef de gouvernement et ne se situe pas au niveau d’un Président. Il énumère : récompense du travail et de l’effort, réforme fiscale pour privilégier « l’argent qui s’investit ». Contrat initiative-emploi pour les chômeurs et les entreprises. Réforme de l’Éducation nationale. Pas de remise en cause du système de retraite par répartition, garantie du pouvoir d’achat des retraités. Rien ne manque, à la fin de ce discours sans chaleur particulière, où le nom de Balladur n’a jamais été prononcé pour ne pas embarrasser les militants gaullistes qui n’aiment pas la division. Un certain nombre de promesses de campagne risquent, plus tard, s’il est élu, de lui créer bien des problèmes ? Il s’en soucie comme de sa première chemise.
À peine Chirac en a-t-il terminé que nous retrouvons, à la sortie, les voitures qui nous ramènent à l’aéroport. Je remarque que, pour dire au revoir à la foule qui commence à quitter le chapiteau au moment où les véhicules démarrent, Chirac sort par la vitre de sa voiture sa grande main en saluant, doigts écartés, ceux qui l’applaudissent.
Nous voici de retour dans l’avion qui décolle en ce début de nuit sans un nuage, toutes les lumières de la Côte d’Azur
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