Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
ceux, parmi les députés, qui pouvaient se porter sur Chirac. Ils ont envoyé 63 parlementaires en mission, tous proches de Chirac, pour essayer de les circonvenir. Le “pelotage” des députés faisait partie de leur stratégie. Et certains qui se disent aujourd’hui à nouveau chiraquiens, comme Françoise de Panafieu ou Pierre Lellouche, n’ont pas été insensibles, à l’époque, au chant des sirènes de Matignon...
« Et puis, poursuit-il, il y a eu aussi, de leur part, une volonté de conférer une légitimité gaulliste à Balladur. C’est pour cette raison que des pressions ont été exercées sur Messmer et sur Chaban. Leur erreur a été d’appuyer leur opération de reconquête des gaullistes sur Charles Pasqua à un moment où celui-ci avait perdu de son influence sur le mouvement.
« Quand j’ai commencé à paraître trop ouvertement favorable à Chirac, ainsi que je vous l’ai déjà raconté, j’ai pris avec Sarkozy trois petits déjeuners de suite à Bercy à partir de septembre 1993. Après le premier, je me suis dit : “Calme-toi, chacun a le droit de faire ce qu’il a envie de faire. Balladur a ses ambitions, c’est normal.” Après cela, il a essayé de me faire virer, soit directement, soit indirectement, en demandant ma peau à Alain Juppé. »
Que de coups fourrés dans cette campagne ! J’en viendrais presque à oublier les mois précédant la défaite de la gauche en 1993 où les règlements de comptes prenaient aussi diablement le pas sur la politique.
11 avril
Charme étrange, si éloigné du combat et du climat actuel, du dernier livre que François Mitterrand et Elie Wiesel ont écrit de concert, Mémoires à deux voix : sous forme de questions-réponses, le livre donne de Mitterrand, qui quittera le pouvoir dans un mois, une image ambiguë, ce qui ne saurait surprendre ceux qui le connaissent. Mitterrand y apparaît à la fois comme celui qui a la foi et comme celui qui doute, celui qui voulait être écrivain et a fait de la politique, celui qui a peur de la mort et ne cesse d’en parler.
12 avril
Après la longue conversation que je viens d’avoir aujourd’hui avec Charles Millon et après celle que j’ai eue avec Hervé de Charette, je comprends mieux, beaucoup mieux, le ralliement des giscardiens et de Giscard lui-même à Jacques Chirac. Je retranscris ce témoignage de Millon – légèrement différent de celui d’Hervé de Charette dans sa chronologie des faits – au plus près. Flash-back, donc :
C’est le 19 octobre 1993 que Chirac invite Millon 18 à déjeuner à l’Hôtel de Ville. Le sénateur Henri Torre se joint à eux. « Au moment où nous avons dîné ensemble, raconte Millon, Jacques Chirac était assez serein. Il avait déjà pris sa décision, elle était irrévocable. Ses relations n’étaient plus au beau fixe avec Balladur, mais nous en avons très peu parlé. »
Ce qui frappe Millon, c’est l’apparente sérénité du maire de Paris : « Je ne me préoccupe pas des batailles politiques, lui dit Chirac, je ne m’intéresse qu’à ce que je ferai le 8 mai 1995. Dans ma tête, je suis déjà président. »
Millon aborde alors ce qui est sa préoccupation première : il souhaite un candidat UDF, Giscard aussi ; qui cela pourrait-il être ? Cette position convient évidemment à Chirac, puisqu’elle priverait Balladur d’une partie au moins des soutiens UDF, parti sur lequel le Premier ministre entend s’appuyer. « Le meilleur, dit Chirac, serait un candidat de la nouvelle génération. » Millon croit à ce moment qu’il pense à François Léotard 19 . Chirac ne dit pas de nom. Il ajoute : « Si on ne trouve pas de représentant de la jeune génération, le mieux serait encore René Monory. Pas Giscard : cela ferait remake de 1981. »
C’est au cours de ce déjeuner que Millon assure à Chirac que s’il ne trouve pas de candidat UDF de poids, il se ralliera à lui avant le premier tour.
De 1993 à 1994, « ma quête, me dit Millon, n’avance pas vite, même si Giscard est lui aussi convaincu que si l’UDF veut continuer d’exister, il faudrait qu’elle ait un candidat dans la bataille ».
À Carcans-Maubuisson, l’année dernière, aux journées du Partirépublicain de Léotard et Longuet, il est pratiquement le seul à soutenir l’idée d’une candidature autonome de l’UDF. Il ne cesse de casser les oreilles de tout un chacun avec son plaidoyer lorsque Jean-Pierre Raffarin
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