Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
œil, dent pour dent : un Pandraud contre un Carignon, un HLM de Paris contre un HLM des Hauts-de-Seine...
Chirac m’a parlé l’autre jour des ralliements à Balladur de ses propres amis, ou de ceux qu’il croyait tels, et du moment où la plupart l’avaient abandonné. Cela, dans une campagne de cette importance, c’est, si j’ose dire, la règle du jeu. Ce qui ne l’est pas, ou l’est moins, c’est qu’à ce jeu-là se soit ajouté celui des mises en cause plus personnelles des candidats : Édouard Balladur a tendance à rendre Jacques Chirac responsable de la publication de ses salaires déjà anciens perçus à la CSI. Chirac, lui, pense que Nicolas Sarkozy, ministre du Budget, n’est pas innocent dans la publicité faite à la vente du terrain appartenant, à la périphérie de Paris, à la famille de Bernadette.
Bref, le Premier ministre débonnaire est devenu un candidat déchaîné, et le challenger pugnace un (presque) tenant du titre.
Si Chirac gagne, ce sera vraiment la victoire de son caractère. S’il perd aussi, d’ailleurs...
31 mars
Du débat public qui vient d’avoir lieu dans le grand amphithéâtre de Sciences Po, je retiens les deux positions différentes de Jérôme Jaffré et Olivier Duhamel. Jérome Jaffré souligne la volatilité de l’électorat entre Balladur et Chirac, comme si les Français passaient indifféremment de l’un à l’autre au gré de leurs humeurs politiques. Olivier Duhamel, lui, soutient au contraire que le duel Balladur-Chirac correspond à un vrai clivage, « celui qui reflète, résume-t-il, le débat Alain Minc-Olivier Todd ».
3 avril
J’accompagne Jacques Chirac à Nice : c’est son 28 e grand meeting depuis le mois de décembre. Cela ne peut pas mieux tomber pour moi : c’est le moment ou jamais, maintenant que les choses pour lui se présentent mieux, de procéder avec lui à l’analyse de ce tournant politique.
À l’aller, dans l’avion où, comme à son habitude, il déballe d’un papier argenté des sandwiches confectionnés à l’Hôtel de Ville (il y en a aussi pour les accompagnateurs), il me raconte avec entrain la rencontre avec Balladur qui a eu lieu, ce matin, en l’église Saint-Louis-en-l’Île à l’occasion de la messe anniversaire de la mort de Pompidou.
« L’ordre protocolaire, me dit-il, a fait qu’au premier rang nous étions alignés les uns à côté des autres, Édouard Balladur, Philippe Séguin, Pierre Messmer, moi et Alain Juppé sur un côté de la nef, tandis qu’Alain Pompidou, sa femme et la mienne étaient de l’autre côté. Balladur m’a tendu trois doigts, qu’il a repris aussitôt. Il est parti sans nous dire au revoir. Même pas à Philippe Séguin. Il devient pisse-froid, ce Balladur. Philippe m’a dit après la cérémonie : “J’ai prié pendant toute la messe pour que le prêtre ne nous demande pas de faire le geste symbolique de nous prendre par la main ou d’échanger un baiser de paix !” »
Avec un plaisir qu’il ne dissimule pas, et sur un tout autre ton que Rosanvallon, il raconte aussi sa réception à la Fondation Saint-Simon, il y a quelques jours : « Je croyais que j’allais au club “Phares et balises” de Régis Debray, et je me suis aperçu que je m’étais trompé. Je suis arrivé à Saint-Simon. Je n’ai pas vu Minc, en arrivant, nous étions entassés dans une petite pièce. Et puis, au moment des questions, j’ai entendu, venant de sous une chaise, Alain Minc qui m’interrogeait sur le coût du travail. Je lui ai dit : “Monsieur Minc, vous n’avez jamais approché un chômeur de votre vie. Je vais vous raconter comment cela se passe. Un chômeur de longue durée touche d’abord les Assedic, puis il finit par être expulsé de chez lui, ses enfants sont mis à la DASS. Vous savez combien ça coûte, un enfant à la DASS ? Non, vous ne le savez pas : ça coûte de 500 à 900 francs par mois. Voilà où on trouve des économies, Monsieur Minc : un homme qui travaille coûte moins qu’un chômeur.” »
Le plus intéressant est qu’il remonte avec moi le fil du temps. Il revient d’abord longuement sur le premier accroc avec Balladur, à l’été 1993, au moment de la crise monétaire : « L’accusation étaitpréméditée. J’ai bien vu qu’il était en train de nourrir un procès contre moi en prétendant que je ne le soutenais pas. Il a dit que mon communiqué de soutien était tombé trop tard, mais c’est Matignon
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