Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
l’exemple d’une seule vraie réussite de sa politique depuis son élection, c’est celui-là que je retiendrais.
29 janvier
Jean-Pierre Chevènement me raconte aujourd’hui sa dernière conversation avec Mitterrand lorsqu’il l’a rencontré, en novembre 1995. Ils ont tous deux parlé de Lionel Jospin que Chevènement avait soutenu en mai dernier : « N’importe qui, lui a dit Mitterrand, à la place de Jospin aurait obtenu autant de voix que lui ! Ce n’était pas une prouesse ! »
En sens inverse, Jean-Christophe Cambadélis, rencontré hier, me confie cette petite histoire : il avait été interviewé à RTL où il s’était montré très critique vis-à-vis de Mitterrand. Le lendemain, Jospin l’a félicité : « Tu as eu raison. Tu as dit ce que je ne pouvais pas dire. Tu as bien fait. »
Dîner à Matignon, le soir, dans le pavillon au fond du jardin. Feu dans la cheminée, décor chaleureux qui ne reflète pas la tension qui est publiquement celle d’Alain Juppé. Cet homme souffre – au même titre, disent certains, que Laurent Fabius – d’un vrai déficit de communication. Sur le fond, rien de nouveau : sa volonté de réformer, sa fidélité à Chirac, parfois difficile, le sale caractère des Français qui veulent bien la réforme, mais pour les autres...
3 février
Jacques Chirac vient de terminer son premier voyage de chef d’État aux États-Unis. C’est le premier voyage d’un président de la République française outre-Atlantique depuis douze ans. En regardant les images télévisées de ce séjour aux États-Unis, au Capitole à l’occasion de son discours au Congrès, puis hier à Chicago, je me demande si, en s’adressant aux cinq cents chefs d’entreprise américains, il s’est rappelé que c’est à Chicago que Georges Pompidou, son mentor, avait affronté, en février 1970, il y a vingt-six ans, une manifestation d’une hostilité sans précédent au cours d’un voyage d’État 12 .
Rien de pareil aujourd’hui. Chirac a à cœur de prononcer son discours en anglais, façon de rappeler qu’il a séjourné aux États-Unis dans sa jeunesse. Il veut aussi apparaître comme un président moderne, qui sait défendre les intérêts des industriels français. Il parle du TGV, de l’Airbus : il a été, révèle-t-il dans une longue interview à Daniel Bilalian enregistrée depuis Chicago, impressionné par la façon du chancelier allemand, du Premier ministre anglais et même du président américain de partout proposer et conclure des marchés. Son message aux Américains est clair : investissez en France, leur dit-il, la France est un pays fiable qui ne vit pas seulement de la mode et du vin. C’est la première fois que j’entends un président se muer en représentant de commerce. Au début, cela choque presque. Et puis je me dis qu’il a bien raison, qu’à force de donner des conseils et de se parer de vertus morales qu’elle n’a pas toujours, la France irrite le monde sans en profiter pour vendre sa salade.
8 février
En regardant aujourd’hui Nicolas Sarkozy répondre sur France 2 à Alain Duhamel et Jean-Luc Mano, je me dis qu’en politique, personne n’est jamais fini. L’ancien accompagnateur-supporter-organisateur-penseur d’Édouard Balladur, qui fut ministre du Budget etde la Communication à la fois, avait tout pour être entraîné dans la chute de Balladur. Il a abandonné Chirac il y a moins de deux ans en lui expliquant, les yeux dans les yeux, qu’il ne croyait plus en lui et qu’il avait choisi son challenger. Le choix lui paraissait évident même s’il devait ses débuts dans la carrière politique à Chirac.
L’élection de ce dernier aurait pu le condamner toute sa vie au silence, ou l’amener à exercer son talent ailleurs qu’en politique. À garder sa vie entière l’image d’un traître, et, qui plus est, d’un traître de comédie, petit Belzébuth décrit par les « Guignols de l’info ».
Eh bien, pas le moins du monde ! D’abord il s’est fait réélire l’année dernière, tout de suite, quelques semaines après l’élection de Jacques Chirac, à la mairie de Neuilly. Puis, en septembre, il a été réélu député des Hauts-de-Seine après la démission dûment sollicitée de son suppléant, poussé vers le Sénat pour laisser le champ libre. Se faire réélire deux fois en quelques semaines, pour celui qui avait été conspué par les militants du RPR avant l’été, ça
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