Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
présidentielle qui soit sorti de ses rangs. Qui Léotard tient-il pour responsable ? Giscard, président de l’UDF depuis 1989 ; Giscard, qui, parce qu’il ne pouvait plus se représenter à la présidentielle, a stérilisé toutes les velléités d’autres candidats ; Giscard, que ses relations à géométrie variable avec Jacques Chirac ont amené, depuis vingt ans, à tour à tour condamner et soutenir les ambitions présidentielles du président du RPR ; Giscard, enfin, qui a préféré se prononcer contre Balladur aux dernières élections, de peur de laisser ses troupes le préférer à lui.
Léotard dit aujourd’hui vouloir – je cite la phrase qu’il a employée à TF1 et que je retrouve dans les journaux – « mettre un terme aux querelles qui ont marqué la génération précédente ». Il est paradoxal de voir que cette déclaration de bonnes intentions commence par une autre querelle, de sa génération celle-ci, entre Madelin et lui ! Je ne sais qui va gagner, mais je sais que l’UDF, dans cette bagarre-là, a beaucoup à perdre.
13 février
Dans l’annonce, faite aujourd’hui à la tribune de l’Assemblée nationale par Alain Juppé, d’une table ronde sur la violence à l’école, il faut voir autre chose qu’une simple communication gouvernementale. Je mettrais ma main à couper que, si le chef du gouvernement annonce cette initiative, et pas le ministre de l’Éducation nationale, c’est parce que Chirac trouve que Bayrou traîne les pieds. Juppé lui a aujourd’hui forcé la main. Sans doute pour montrer aux ex-ministres balladuriens qu’ils appartiennent aujourd’hui au gouvernement Juppé, dans le cadre du septennat de Jacques Chirac. Il y aurait, dans la sortie de Juppé, la marque de son irritation contre ceux des balladuriens, restés hors du gouvernement – Léotard, Simone Veil, Nicolas Sarkozy – qui distillent dans les oreilles des journalistes leurs critiques envers le gouvernement que cela ne m’étonnerait pas.
18 février
Michel Rocard est arrivé ce dimanche matin sur le plateau de « Polémiques » tel qu’en lui-même : traits juvéniles, cheveux très noirs, débit volcanique, des projets à revendre. À noter justement une de ses idées, qui paraît faire rebondir le débat sur la réduction du temps de travail. Elle est assez compliquée, mais séduisante. J’en reproduis ici le script intégral de peur de me tromper dans la formulation. Il s’agit « d’abaisser de près de moitié toutes les cotisations sociales sur les 32 premières heures de travail, et d’augmenter à due concurrence – et cela fait 28 francs de l’heure, soit plus du doublement – toutes les cotisations sociales au-dessus des 32 heures de travail ». Car, explique-t-il, « la réduction du temps de travail ne sera pas acceptée si elle est trop coûteuse ». Il espère, grâce à ce système, nous dit-il, faire baisser le nombre des chômeurs d’au moins un demi-million.
S’il a rencontré récemment le président de la République – son vieux copain de l’ENA, il le confirme –, c’est pour lui vendre cette idée-là. Après tout, il ne voit pas pourquoi un gouvernement en place ne pourrait pas « piquer » une bonne idée à l’opposition. Il l’a fait lui-même, reconnaît-il, quand il était au pouvoir.
24 février
Face aux vicissitudes de la vie politique, il est éclairant de voir la différence entre Chirac et Juppé. Pas une différence d’analyse : sans doute les deux hommes ont-ils la même perception de la France et des Français, des réformes à faire et de celles qu’il faut différer. Ni de stratégie : les deux, désormais, ont la même volonté de s’inscrire « dans les clous de Maastricht » tout en plaidant la nécessité de la relance et de la lutte contre le chômage. Non, la différence essentielle entre eux tient au professionnalisme. L’un est un vieux cheval rompu aux jeux de la politique, qui a peu de convictions et beaucoup de savoir-faire. L’autre est exactement le contraire : un jeune Premier ministre qui a beaucoup de convictions et peu de savoir-faire. Qui n’emploie, en tout cas, aucune des ficelles du métier et s’irrite de les voir employer contre lui.
Ce serait un jeu d’enfant d’opposer le professionnalisme madré dont a fait preuve avant-hier Chirac en annonçant la fin du sacro-saint service militaire, obligatoire et égalitaire, et l’impétuosité excessive de son Premier
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