Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
tiers provisionnel, et les journaux en font quatre colonnes ; tout le monde, à gauche et à droite, me tombe dessus. Les journalistes ne m’interrogent que sur mes problèmes avec Chirac, avec Juppé, ou, variante, avec Philippe Séguin. Rien d’autre ne les intéresse. Et moi, alors, dans tout cela ? »
Ce qui ne l’empêche pas, sur-le-champ, de me parler d’eux. Il est vrai que c’est un peu pour cela que, moi aussi, je suis là.
Je le cite donc. Sur Alain Juppé : « Le problème, c’est Juppé, qui lui aussi [il veut dire : comme Chirac] change tout le temps d’avis. Un député de la majorité m’a dit tout à l’heure : “Je renonce à éditer un journal dans ma circonscription, le gouvernement me prend toujours à contre-pied.” Juppé expose Chirac, ce qui représente un grave danger pour le Président. De toute façon, il n’y a pas d’autre Premier ministre possible pour Chirac.
– Mais il y a toujours d’autres Premiers ministres possibles, lui ai-je objecté.
– Oui, mais un autre peut être pire. Lorsque François Mitterrand a remplacé Michel Rocard par Édith Cresson, il n’a pas gagné au change. Lorsque Georges Pompidou a quitté le gouvernement en 1968 et que de Gaulle a nommé Couve de Murville à Matignon, cela n’a pas été formidable pour le Général... »
Sur Jacques Chirac : « Il aurait dû procéder plus tôt à une réconciliation. C’est ce que je lui ai dit le samedi précédant le deuxième tour, lorsque nous nous sommes rencontrés. Il ne l’a pas fait alors. Maintenant, c’est trop tard. »
Nous parlons enfin de Philippe Séguin qui, lui, prétend qu’entre balladuriens et séguinistes peut exister un axe de rapprochement. « C’est dans son intérêt de le dire, répond Balladur. C’est son jeu à lui, de prétendre qu’il est le seul à pouvoir ouvrir la majorité. C’est son problème, ce n’est pas le mien. »
Et quid de Pasqua ? Il feint de s’étonner : « Il est toujours fourré à l’Élysée, non ? »
Après la vie politique dont il est (provisoirement ?) exclu, nous parlons vie privée. Il me dit qu’il lit beaucoup, très tôt, dans son lit, vers 6 heures du matin. Et une heure encore le soir. Des biographies, des livres d’histoire, de préférence. « Hier, dit-il, j’ai regardé à la télévision un film très grossier, avec Steve McQueen. Très grossier, vraiment ! insiste-t-il. Ma femme était choquée ; moi, j’ai tenu trois quarts d’heure. »
28 janvier
Giscard est l’invité de « Polémiques ». Avec lui, hors antenne, avant l’émission, nous parlons de François Mitterrand. « Vous savez, me dit-il, en 1981 j’aurais pu vous dire bien des choses à son sujet...
– Quoi ? qu’il était malade ?
– Non, cela je ne le savais pas à l’époque, mais je savais beaucoup de choses sur lui, bien sûr. Plus tard, j’ai su qu’il était traité, donc malade. Dans ces conditions, c’était un crime de se représenter en 1988. »
Il ajoute : « Vous verrez, des histoires sur les supercheries de Mitterrand, il y en aura des tas, maintenant. Comme il n’a rien fait pendant quatorze ans, il faudra bien qu’on parle de lui. Et on n’enparlera que de cette façon-là. Moi, j’ai créé le Système monétaire européen : on peut parler de ma présidence, la commenter. Sur la sienne, il n’y aura rien d’autre à dire : on parlera de l’homme, pas de ce qu’il a fait. »
À l’antenne, nous parlons 10 de la monnaie européenne. Je lui demande si la France sera en mesure de respecter les dates, et pourquoi les respecter. « C’est simple, me répond-il, parce qu’on s’y est engagé. »
Quant aux critères de Maastricht, VGE les trouve « raisonnables » : si la France dépasse les 3 % de déficit, elle n’a qu’à faire des économies. Il redit à quel point le passage à la monnaie unique est un événement historique : « Il n’y aura jamais eu, insiste-t-il, dans l’histoire monétaire du monde, un tel changement. »
Pendant ce temps-là, Chirac est parti se promener trois jours dans les Deux-Sèvres. Cure poitevine, donc, pour le Président. À coup sûr, le rythme, l’atmosphère, la chaleur de ces tournées provinciales lui manquent. Pourtant, le voyage qu’il vient de faire hier et avant-hier n’est pas seulement, pour lui, une façon de s’aérer. Il s’inscrit dans le droit-fil des conseils que, paraît-il, il a donné aux ministres,
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