Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
n’allait pas de soi.
Aujourd’hui, cette émission – je l’écris en prenant tous les paris – marque le début de sa vraie remontée dans la vie publique. Remontée d’autant plus étonnante que Balladur sait bien que ses chances sont derrière lui, même s’il ne le dit pas, et que Nicolas Bazire est désormais à la banque Rothschild, en charge des fusions-acquisitions, sans la moindre envie ou volonté de remettre un pied en politique. Sarkozy est, d’après ce que l’on sait, fidèle à Balladur, il continue chaque semaine de participer au petit déjeuner balladurien, mais il est bien décidé à ne pas disparaître, même si Chirac continue de l’ignorer.
Sa stratégie, telle qu’elle apparaît dans sa première grande prestation télévisée depuis l’élection de Chirac, est simple : il lui faut à la fois s’inscrire dans la mouvance gouvernementale et affirmer en même temps de façon permanente sa différence par rapport à Juppé. Il est dans la ligne d’un nouveau « Oui, mais ». Il a rencontré Juppé dès le mois d’août 1994, ce qui montre que les deux hommes, de la même génération politique, gardent entre eux des relations que leurs aînés, Chirac et Balladur, ont interrompues. Il a affirmé sa solidarité avec le Premier ministre en décembre dernier, il la réaffirme devant ses interviewers, ce soir, en déclarant jouer son rôle dans la majorité et vouloir, comme Édouard Balladur, dit-il au passage, « apporter sa contribution à la victoire de la majorité ».
Cela ne le dispense pas, cela l’oblige, au contraire, à donner de lui une image d’homme libre, qui a des idées, des convictions, même, dont il n’a pas changé depuis des années. Parmi ces idées – dont iln’est pas en reste, semble-t-il, à l’entendre –, il y a la baisse de la ponction fiscale. Selon lui, la croissance est en train de repartir, mais les mesures de relance ne sont pas suffisantes ; il faut diminuer l’impôt sur le revenu, c’est ce qui redonnera confiance aux Français. Il est donc arrivé ce soir à réaffirmer que sa seule famille politique était le RPR, les gaullistes, qu’il soutient le gouvernement sans être devenu un militant aux ordres. À faire oublier son engagement politique contre Chirac, avant la présidentielle, tout en se présentant comme unique au sein de la majorité. Le passage était étroit ; il s’en est mieux que bien sorti. Nous avons tous écouté sa différence.
9 février
Regardant Sarkozy sur France 2, hier, je n’ai pas écouté François Léotard sur TF1. Il s’agissait de sa déclaration de candidature à la présidence de l’UDF. Il y aura donc, pour diriger ce parti, ou plus exactement ce rassemblement, une lutte fratricide entre les deux leaders jadis très proches au sein du Parti républicain, mais aujourd’hui opposés. Pas seulement parce que l’un, Madelin, a soutenu Chirac, alors que Léotard a été le premier à proposer la candidature de Balladur. Pas seulement non plus parce que l’un, Madelin, est un homme solitaire, tandis que l’autre, Léotard, est un homme d’équipe. Mais surtout parce que les lignes politiques choisies sont différentes : Madelin, avec sa « boîte à idées » libérales, est un agitateur, un « hérétique », donc, que beaucoup appellent ultra-libéral sans qu’on sache bien s’il existe des libéraux modérés, des libéraux pas tout à fait libéraux, des libéraux-socialistes... Léotard, cela se voit dès sa première intervention, hier, situe son action dans le registre de la « fraternité 13 » ; il veut redonner « un sens à l’économie », « recréer un lien entre l’économie et l’homme ». Chez François Léotard, ce vocabulaire humaniste, presque social-chrétien, s’explique évidemment par le fait qu’il doit se démarquer de son concurrent. Sans compter qu’il a voulu, avant de relever le défi de Madelin, s’assurer du soutien de François Bayrou : l’humanisme prend donc le pas, au moins dans le discours, sur le libéralisme – l’appui de Bayrou est à ce prix.
Je suis sûre que la détermination de François Léotard, aujourd’hui, sa volonté d’être président de l’UDF, et pas seulement le leader de la « bande à Léo », reposent sur deux très fortes, parce que intimes convictions. La première part d’une constatation : depuis 1981, l’UDF n’est parvenue ni à faire élire, ni même à désigner un candidat à la
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