Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Il fait au surplus flèche de tout bois contre le gouvernement, tout en feignant de le soutenir. Voilà qu’il parle aujourd’hui, en exagérant tout de même un peu, d’une « évolution vers le fascisme 7 ». Il n’y a guère qu’Alain Peyrefitte pour soutenir le gouvernement dans sa volonté de parler avec ceux qu’il appelle des « rebelles », pour les amener à prononcer une trêve sans qu’ils perdent la face.
Question : qui, dans l’affaire, a perdu la face ? les « rebelles » ou nous ?
16 janvier
Il fait vraiment tout ce qu’il peut, Alain Juppé, pour paraître sympathique. Je note ses efforts à l’occasion de ses vœux à la presse, aujourd’hui. Oh, il ne se promène jamais le cœur en bandoulière, on ne peut pas dire que ce soit là son registre, mais enfin, tout de même, il pousse l’effort jusqu’à reconnaître qu’il n’est pas facile, certes, que c’est parce qu’il est trop concerné par les choses, qu’il n’est pas assez indifférent à ce que nous écrivons les uns et les autres. Cet homme froid, c’est vrai, est aussi un homme qui doute, qui aspire à convaincre, et s’irrite parfois de n’y pas parvenir 8 . Je ne le trouve pas encore assez serein, assez en paix avec lui-même pour pouvoir trouver le temps de penser aux autres. Aujourd’hui, il est allé, pour nous, le plus loin qu’il pouvait.
Il n’a pas fait que dans le sentiment. Il a parlé d’une triple relance : de l’emploi, de la lutte contre l’exclusion et de l’Europe. Le problème est de savoir si la relance de l’emploi est compatible avec les critères de Maastricht.
17 janvier
Le docteur Claude Gubler a-t-il eu tort ou raison de violer le secret médical en évoquant la maladie de François Mitterrand ? Et, surtout, de le faire si tôt après sa mort ? Une lecture rapide de son livre révèle un mal encore plus terrible que nous ne l’avons tous cru. Il évoque les heures et les heures de prostration, l’appel à toutes les médecines parallèles. Il y indique surtout que le Président, selon lui, n’était plus apte à exercer ses fonctions au cours de la dernière année qu’il a passée à la tête de l’État, et que lui, Gubler, avait été contraint de publier des bulletins de santé mensongers sur la condition de son illustre patient au cours des deux septennats.
Était-ce le moment ? Le médecin aurait pu attendre que le corps de Mitterrand ait refroidi pour faire ces confidences. Le livre aurait fait certes moins de bruit, il se serait moins bien ou plus mal vendu. Ç’aurait toutefois été plus correct pour tout le monde.
Je ne suis cependant pas d’accord avec la famille, qui a immédiatement saisi la justice en référé et obtenu la saisie du livre de Gubler pour violation du secret médical 9 . Un homme d’État n’est pas une personne privée. Même si cela coûte à ses proches, même si elle est cruelle, la vérité médicale est historique. C’était simplement une question de moment.
Longtemps, donc, Mitterrand a fait avec la maladie comme avec la politique : il l’a domestiquée. Elle a été plus forte que lui. Sa mort a eu de la grandeur. Grandeur intime à Jarnac, petite ville bien-pensante où ses deux familles étaient côte à côte autour de la tombe.Grandeur solennelle à Notre-Dame où tous les Français ont vu Helmut Kohl essuyer ses larmes. L’enterrement de Mitterrand a finalement ressemblé à sa vie avec ses ambiguïtés, sa dualité. Trouvant dans la mort son unité, jusqu’au bout il aura été un personnage de roman.
24 janvier
Jean-Pierre Raffarin me confie le point de vue de Giscard sur la candidature Madelin, effective depuis ce matin, à la tête de l’UDF : « De deux choses l’une, me dit-il : ou bien Madelin, Léotard et Bayrou s’enferment dans leurs antagonismes, n’en sortent pas, et se paralysent mutuellement ; dans ce cas, Giscard peut apparaître comme celui qui, non présidentiable, est le moins gênant à la présidence de l’UDF, et il aura gagné. Ou bien Madelin gagne, et c’est de loin la solution que Giscard préfère à toute autre. C’est cela, Giscard », conclut-il, sibyllin.
Si je comprends bien, quoi qu’il se passe, Giscard voit toujours le bon côté des choses...
25 janvier
Édouard Balladur a installé ses bureaux rue Pierre-Charron. Décor beige et marron, le grand chic.
« Mon problème, me confie-t-il aujourd’hui, c’est que je ne peux plus parler. Un mot sur le
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