Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
récupérer une partie des électeurs du Front national, faut-il aller aussi loin ? Juppé n’en est pas convaincu. Quant à l’existence de ces étrangers qui ne seraient ni expulsables ni régularisables, c’est la quadrature du cercle. La réponse serait peut-être : un an renouvelable ?
Curieuse loi, tout de même, qui crée des situations sans issue...
13 février
Il n’est pas coutumier du fait. Pourtant, aujourd’hui, Jacques Toubon, avec qui je déjeune, plutôt de naturel optimiste et d’une humeur égale, trouve son métier de garde des Sceaux « impossible » : « 1996 a été une annus horribilis 4 , et 1997, avec les affaires Tiberi et Giraud, risque de l’être plus encore. »
Nous parlons de la réforme de la Justice, grand dessein de la législature. Il sent des réticences, à l’intérieur de la majorité, sur la séparation de la Chancellerie et du parquet. Il reste convaincu que les citoyens demandent davantage de transparence, que la marche versl’indépendance du parquet est irréversible. « Les choses se sont passées ainsi, de façon inéluctable, pour l’interruption volontaire de grossesse, dit-il, ou pour la libéralisation de l’audiovisuel.
« Comme le faisait le fameux clown Grock 5 , ajoute-t-il en hasardant une métaphore originale, on peut avancer le piano plutôt qu’avancer la chaise. De toute façon, il faudra bien un jour mettre la chaise devant le piano, et ajuster la pratique à l’état de la société... »
Ce matin, à l’issue du Conseil des ministres, Chirac l’a pris à part pour lui dire : « Jacques, ménagez Jean Arthuis 6 , il en prend plein la figure, en ce moment... »
Toubon me raconte cela pour conclure d’une phrase : « Il y a deux ministres qui en prennent plein la figure : Arthuis et moi. »
Mais Chirac n’a pas demandé qu’on ménage Toubon.
15 février
Je déjeune justement à l’Élysée aujourd’hui avec Jacques Chirac en compagnie de deux consœurs. Chirac est très enrhumé, ce qui ne l’empêche pas d’être disert. Comme pour nous rappeler le temps de ses gueuletons passés, le menu est pantagruélique : pâté de veau et blanquette, haricots blancs et pâtes au pistou. Il mange de tout, en petites quantités, mais attentif à toujours apparaître comme l’ogre bon vivant. En réalité, il a nettement décéléré sur l’ingestion.
Nous déjeunons autour d’une table ronde, dans une pièce voisine de son bureau qui n’est pas, autant que je m’en souvienne, la salle à manger où Mitterrand prenait ses repas.
Il aborde d’abord ce qui lui tient le plus à cœur en ce moment : la Justice et la politique internationale.
« Si la Chancellerie et le parquet sont séparés, il faut impérativement que soit garantie d’abord la légitimité des juges. Ce n’est pas parce qu’ils sont sortis de l’École nationale de la magistrature de Bordeaux qu’elle va leur donner la moindre légitimité. Moi, je suis sorti de Sciences Po et de l’ENA, ce n’est pas à cela que je dois ma légitimité !
« Il faudra veiller également, dans ce cas, ajoute-t-il, au respect des personnes et à celle de la présomption d’innocence. »
Je comprends, comme je l’avais noté il y a trois semaines, qu’il continue à reculer sur l’indépendance du parquet. Je pense que maintenant, il en voit davantage les inconvénients que les avantages, ce qui explique peut-être le vague à l’âme de Jacques Toubon avant-hier. D’ailleurs, il conclut d’une phrase sur le sujet : « S’il n’y a pas d’accord sur ces deux points, respect des personnes et légitimité des juges, il n’y aura pas de séparation entre la Chancellerie et le parquet. »
Si les membres de la Commission Truche, précisément en train de plancher sur le sujet en ce moment, l’entendaient, ils comprendraient, je pense, la réelle étroitesse de leur marge de manœuvre !
Jacques Chirac embraye sur un de ses personnages préférés en politique internationale, Boris Eltsine, dont il nous donne des nouvelles optimistes : il s’est parfaitement remis de son quintuple pontage coronarien à la fin de l’année dernière. Chirac vient tout juste de le rencontrer à Moscou, début février. On disait le président russe à l’article de la mort. Eh bien, pas du tout, assure Chirac : « Nous avons parlé de l’avenir de la sécurité en Europe, de l’élargissement de l’OTAN, et je vous garantis qu’il connaissait son
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