Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Bayrou, la majorité des élus est hostile au couplage : le débat régional, disent-ils, sera occulté si les deux campagnes se déroulent en même temps. Les législatives sont certes un grand rendez-vous national, mais les régions le sont également.
10 février
Daniel Vaillant me fait part le premier de l’avis du Conseil d’État sur la chronologie des scrutins de 1998. « Il ne recommande pas », – merveilleuse formule dont les juristes du Conseil ont le secret – que les trois scrutins (législatives, cantonales, régionales) se déroulent en même temps. Les régionales doivent avoir lieu avant le 13 juin 1998. Les cantonales, à leur date normale.
Voilà qui, je pense, met un terme aux interrogations des uns et des autres. 1998 sera une année électoralement chargée. On votera tous les dimanches !
11 février
Alain Juppé, qui a invité quelques journalistes à déjeuner à Matignon, parle essentiellement, aujourd’hui, avant le sommet « Jeunes » qu’il a convoqué pour demain, du chômage des moins de 25 ans : il considère qu’à l’heure actuelle, 20 % des jeunes qui cherchent un travail restent sur le carreau.
20 %, c’est énorme, évidemment, largement plus que la moyenne du chômage dans le pays. Les remèdes envisagés par le Premier ministre ? Ils sont classiques : mobilisation des préfets dans chaque département, sensibilisation des présidents de région, encouragements aux chambres de commerce pour qu’elles parrainent des jeunes, appels aux grands patrons qui doubleraient le pourcentage des apprentis. Il nous parle également des initiatives locales, ponctuelles, qui laissent une large part à l’imagination : celle d’un maire du Finistère qui a institué une sorte de capital avec actionnaires locaux pour soutenir l’emploi, ou celle de Jean Royer, à Tours, qui recycle des demandeurs d’emploi.
Alain Juppé me paraît assez rodé, maintenant : en près de deux ans, il a tout vu, tout appris, parce qu’il apprend vite. Il partage avec Fabius cette caractéristique d’être détendu, plein d’humour en privé, et largement moins liant, moins libre en public. Cela dit, rien dans l’actualité n’a de quoi le faire rire.
Un mot, après le problème du chômage, sur le scrutin des régionales : il est favorable à une circonscription régionale, pas à l’addition des votes départementaux. C’est-à-dire qu’il est sur la position de Giscard et juge naturel, contrairement à certains gaullistes du RPR, qu’une élection régionale s’inscrive au niveau de la région. C’est simple, il fallait y penser ! Les élites politiques françaises sont si compliquées qu’elles ont accepté un nouveau cadre politique, la région, sans en tirer toutes les conséquences électorales et administratives.
En réponse à nos questions, le Premier ministre évoque maintenant ses relations – ou plutôt son absence de relations – avec le président du Front national. Le fait que Catherine Mégret ait été élue à Vitrolles en remplacement de son mari est inquiétant pour toutes les forces politiques. « Quelle est la bonne stratégie, s’interroge Juppé, face à ce parti qui rêve de nous faire battre par les socialistes pour être en mesure d’apparaître comme la seule alternative à la gauche ?... L’alliance avec le Front national, dit-il en réponse à sapropre question, nous y avons renoncé depuis longtemps, vous le savez, aucun doute là-dessus. Si j’avais la conviction, demain, que le Front national avait quelque chance d’arriver au pouvoir en France, je m’allierais aux socialistes, c’est tout dire ! La stratégie du silence ? Ce n’est pas mieux. Quant à la diabolisation, elle a ses limites. La seule chose à faire, c’est expliquer inlassablement aux Français qui votent Le Pen qu’on les trompe. »
Quant aux nouvelles lois Debré sur l’immigration, qui rendent obligatoire un fichier des hébergeants avec engagement de signaler l’éventuel départ des étrangers résidant en France, il semble hésitant, au moins sur son opportunité politique. Il le sait, c’est un chiffon rouge : « Je vous avoue, dit-il, que je me pose la question. »
Il a entendu comme nous les réactions des metteurs en scène, parmi lesquels Bertrand Tavernier, grande conscience du milieu du cinéma. Il trouve que Debré en fait un peu trop.
Cela est d’ailleurs à mettre en relation avec notre conversation précédente : pour
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