Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
demandés si Chirac et Villepin n’allaient pas additionner leurs impatiences, et lequel des deux, s’il en était besoin, calmerait l’autre. En tout cas, ici et maintenant, il est le seul maître à bord après Dieu. L’un après l’autre, Maurice Ulrich, Jean-Pierre Denis abandonnent la place : difficile, disent-ils, de partager Chirac avec lui.
Je reviens à notre conversation de ce matin, sur laquelle j’ai pris des notes trop rapides. Il me parle de son goût pour le système américain : « Là-bas, seule la capacité de faire compte, pas la volonté de paraître. Ici nous fabriquons des cadres, pas des gens capables de créer des sociétés, de prendre des risques. La société américaine est une société qui crée des chances. Seule la droite le fait en France. » Il ajoute qu’il faudrait, en France, « croiser l’esprit d’initiative et lamobilité du modèle américain avec l’histoire et les traditions françaises ».
Jacques Chirac, je le remarque, écoute parler Villepin avec un plaisir non dissimulé. Visiblement, il aime ses envolées, ses indignations. Il trouve qu’il parle bien, peut-être mieux que lui.
À un moment donné, lorsque Villepin aborde le problème des socialistes, le chef de l’État intervient plus prosaïquement : « Les socialistes sont divisés, me dit-il, beaucoup plus que nous ne le sommes. En plus, Lionel Jospin est bien, mais il n’a pas la classe pour mener une grande campagne. »
À propos d’Alain Juppé dont je lui demande quel sera le sort, il me répond, serein : « Il est au milieu de l’eau, il ressortira de l’autre côté ! »
Nous reparlons quelques minutes avec Villepin après que Jacques Chirac est repassé dans son bureau. Il me parle du « pari optimiste » que fait l’Élysée sur la Justice, de l’exercice du pouvoir, « toujours douloureux, comme le dit Chirac ».
Je note surtout sa réflexion sur le Front national qui, curieusement, ne l’inquiète pas dans la perspective des futures élections législatives : « Le FN, me dit-il, n’est pas dangereux pour nous. Il ne se nourrit que de nos faiblesses. Dès lors que le gouvernement s’attelle aux problèmes de fond, il ne parviendra pas à nous nuire. »
En partant – il se rend à sa réunion du matin avec Chirac –, il me glisse, presque complice, comme si, à coup sûr, j’étais de son avis, la phrase qu’il prête à Chirac : « Le socialisme a été une catastrophe humanitaire ! »
5 février
Nouveau débat, purement électoral, sur lequel se déchaînent les responsables de tous les partis.
En réalité, il y a deux débats :
D’abord, celui portant sur le mode de scrutin aux régionales : l’actuel prévoit l’élection des conseillers à la proportionnelle, sans panachage, dans le cadre du département. Faut-il en changer, étant donné qu’il a abouti à une paralysie complète dans certaines régions, en Île-de-France notamment ? La majorité y est favorable, mais selon des modalités diverses. En gros, trois propositions émergent : la première est l’application aux régionales du scrutin en vigueur pour les conseillers municipaux dans les villes de plus de 35 000 habitants. Dans chaque département, la liste qui obtient au premier tour la majorité absolue, ou celle qui arrive en tête au second tour, se voit attribuer 50 % des sièges, puis participe à la répartition des sièges restants. La deuxième proposition émane de Valéry Giscard d’Estaing qui plaide pour un scrutin à la proportionnelle à un tour au niveau régional, avec prime à la liste arrivée en tête : les gaullistes, attachés au département, y sont hostiles. Troisième proposition, enfin, sur laquelle VGE se replie : on rétablit le département comme circonscription, avec calcul de la prime assis sur le nombre de voix obtenues par chaque liste au niveau régional.
Ouf ! J’ai bien appris ma leçon.
Deuxième débat : le calendrier. Faut-il ou non tenir les élections régionales en même temps que les législatives, en 1998 ? Les élections politiques doivent-elles être regroupées ? Le PS et le RPR y sont favorables. Pierre Mazeaud, que j’ai rencontré ce matin, apporte à cette proposition un additif qui fait l’unanimité contre lui : le couplage, à cette occasion, des financements des deux campagnes. Cela me paraîtrait logique. Les candidats, eux, penseront le contraire. À l’UDF, suivant la position de François
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