Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
comme ils disent tous, plus humaine et surtout plus rapide. Question, cependant : est-ce bien le moment de mettre en œuvre cette réforme ? Alors que le pays n’est pas dans sa meilleure forme, que le spectre des « affaires » plane toujours sur la majorité, que le chômage et la croissance sont les premières préoccupations, à juste titre, du pouvoir, qu’enfin on ne peutpas ouvrir un journal sans que l’on parle de remaniement. J’ai l’impression, peut-être fausse, que Chirac veut occuper le terrain : est-ce parce qu’il m’a dit un jour que lorsque le pouvoir n’avait rien à proposer, il mettait sur la table une réforme des institutions ?
Si cohérence il y avait néanmoins à trouver dans son discours, je pense qu’il faudrait la voir dans le fait que Chirac a d’abord ouvert – et même fermé – le dossier sur l’armée de métier et la fin du service militaire obligatoire. Après la Défense, donc, la Justice. Jusqu’à présent, le Président parlait trop peu, on le lui a reproché l’année dernière. Le fait qu’il intervienne aujourd’hui à la télévision, cinq semaines seulement après son émission télévisée du 12 décembre dernier, montre qu’il veut s’engager davantage dans l’année qui vient. Sans doute se sent-il justement obligé de monter en première ligne tandis qu’Alain Juppé, trop exposé l’an dernier, passe à l’arrière ?
22 janvier
En relisant avec soin les deux textes essentiels que Jacques Chirac a consacrés à la réforme de la Justice, en décembre et janvier, je m’amuse à trouver déjà, en un mois, un recul considérable à propos de l’indépendance des magistrats. Cela n’amuse peut-être que moi, mais j’ai noté que le 12 décembre dernier, il a dit trouver « franchement anormal que le parquet dépende de la Chancellerie ». En traçant le cadre de sa mission à Pierre Truche, le 21, il s’est demandé plus modestement si « l’indépendance de l’autorité judiciaire ne pouvait pas être accrue en modifiant, voire en supprimant le lien hiérarchique qui relie actuellement le ministère public au garde des Sceaux ».
Nuance, déjà.
4 février
Rendez-vous avec Dominique de Villepin, ce matin. Au beau milieu de notre conversation, Chirac entre, dit bonjour et se mêle à la discussion comme s’il avait tout son temps. « La droite est moderne, me disait justement Villepin lorsque Chirac a fait irruption. La gauche est conservatrice et médiocre. »
Je vois aujourd’hui Dominique de Villepin pour la première fois. Jusqu’à ce qu’il entre à l’Élysée comme secrétaire général, en 1995,seuls les journalistes de politique étrangère le connaissaient bien : quelques-uns d’entre eux, comme, je crois, Bernard Guetta, avaient fait sa connaissance à Washington où il fut premier secrétaire à l’ambassade de France. D’autres, les plus nombreux, suivent son action depuis qu’il a été directeur de cabinet d’Alain Juppé au Quai d’Orsay de 1993 à 1995. D’autres encore l’ont approché dès 1985 à la Mairie de Paris où il secondait déjà Alain Juppé dans l’élaboration de la plate-forme commune RPR-UDF.
Ce n’est pas un homme tiède, ses propos sur la gauche me surprennent par leur inutile agressivité. Il est grand, mince, le visage aigu, d’une beauté qui n’est pas commune tant elle doit à sa silhouette entière, à sa façon de parler, à sa gestuelle élégante. Voilà quelqu’un, en tout cas, qui ne mâche pas ses mots. Il est encore plus direct que Chirac lorsque ce dernier n’est pas en représentation, avec un bonheur de vocabulaire et d’expression que le Président n’a pas toujours. Il faut dire qu’il a grandi, hors de France, dans le culte que les Français de l’étranger vouent à leur langue. Je sais qu’il aime la poésie depuis son enfance où sa mère glissait dans sa poche quatrains et alexandrins qu’elle composait elle-même. Revers de la médaille : la fréquentation des grands personnages de l’Histoire sur la vie desquels l’interrogeait son père, pendant cette période loin de la métropole, de Napoléon à de Gaulle, lui a donné le sentiment, qu’il exprime souvent, paraît-il, de la médiocrité générale de la classe politique d’aujourd’hui.
Lorsqu’il a été nommé à l’Élysée, beaucoup de mes confrères, qui donc le connaissaient depuis le Quai d’Orsay et le savaient d’un tempérament impétueux, se sont
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