Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
pas tenable. Car, en fin d’après-midi d’hier, une fois encore, une bombe a explosé rue de Rennes, à 17 h 25, dans le magasin Tati : 5 morts, 51 blessés. Quand, une heure après, je suis rentrée chez moi, près de Montparnasse, donc à quelques centaines de mètres de l’attentat, le ballet des ambulances, des voitures depolice n’était pas terminé. Un choc formidable, pour moi et pour les gens du quartier qui regagnaient leur domicile.
Je ne sais si c’est Mitterrand qui a conseillé à Chirac de parler aux Français, ou si Chirac l’a fait spontanément. Peu importe, d’ailleurs. Il a redit la détermination, le courage, la fermeté de la France face au « mal absolu », selon l’expression d’Édouard Balladur il y a quelques jours. Il n’était ni crispé, ni faussement optimiste. Il ne souriait pas, comme souvent, à contretemps : il est vrai qu’il n’y a vraiment pas de quoi sourire dans la situation actuelle ! Sa détermination, qui frise souvent l’autoritarisme et le mouvement du menton, était ici assez bienvenue.
Mitterrand, lui, a fait annoncer qu’il s’adressera aux Français, on ne sait pas quand.
Dîner aujourd’hui, rue de Seine, avec Éric Rouleau, ancien journaliste du Monde qui avait été nommé par Mitterrand ambassadeur à Tunis. Ce qu’il raconte sur la cohabitation est proprement ahurissant. Comme Gilles Martinet et d’autres, il avait donc été nommé ambassadeur par Mitterrand, au tour extérieur, à Tunis, après avoir plus ou moins servi d’intermédiaire auprès des ravisseurs des otages français au Liban. Chirac, dès son arrivée à Matignon, a immédiatement exigé sa mise sur la touche.
Pourquoi Chirac lui tenait-il à ce point rigueur d’avoir joué ce rôle souterrain ? Parce que Rouleau, dans ses discussions avec le Hezbollah ou l’OLP, avait recueilli une certitude : il pensait que Chirac faisait tout pour empêcher la libération des otages avant le mois de mars 1986, c’est-à-dire avant qu’il ne revienne au pouvoir, en sorte que François Mitterrand ne puisse en tirer un argument de campagne.
Rouleau me raconte même qu’au moment le plus important de sa négociation secrète, avant les législatives de mars dernier, les hommes avec qui il parlait ont été appelés ; ils ont quitté la salle où ils se trouvaient avec lui. Ils sont revenus quelques minutes après, manifestement décidés à interrompre la négociation. Pourquoi ? Selon Rouleau, parce qu’ils auraient été mis en garde (par des proches de Chirac, ou par Chirac lui-même) : la majorité politique allait changer en France, il serait dangereux de négocier avec des intermédiaires envoyés par Mitterrand au moment où Jacques Chirac allait arriver à Matignon. Après cela, Rouleau a été quasiment expulsé de l’endroit (lequel, il ne me le dit pas) où il se trouvait avec les détenteurs des otages français.
Lorsque j’arrive à la rédaction d’Europe 1, vers 5 heures du matin, on me dit que, à ma grande surprise, il paraît que toute la nuit, les auditeurs ont appelé pour dire « Assez ! Ne nous informez plus ! Plus vous parlez d’attentats, plus vous créez la panique ! ». Tandis que d’autres, en nombre à peu près égal, ont téléphoné pour nous supplier de ne rien leur cacher. Difficile, dans ces conditions, de faire son boulot sans mécontenter tout le monde.
19 septembre
Il paraît que Mitterrand, toujours en Indonésie, et Chirac se sont téléphoné hier à plusieurs reprises. Cela n’a rien d’extraordinaire, sauf que, face aux événements qui menacent la France, les escarmouches de la cohabitation paraissent désormais bien mesquines.
Deux témoins ont reconnu, parmi la centaine de photos que leur a remises la police, le frère du fameux Georges Ibrahim Abdallah, chef des FARL. Il s’agit d’un certain Émile Ibrahim Abdallah. Il est néanmoins troublant que celui-ci ait été vu par des journalistes français quelque part au Liban quelques heures seulement après l’heure de l’attentat de la rue de Rennes. Bref, tout le monde patauge, et la police sans doute aussi.
24 septembre
Je ne sais pas comment les choses se passent entre Mitterrand et Chirac. En tout cas, les socialistes sortent du bois, il me semble, en posant des questions ambiguës. Laurent Fabius demande tout haut qui est derrière ces attentats et surtout qui ils visent : « Pourquoi la France, pourquoi maintenant et pas
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