Carnac ou l'énigme de l'Atlantide
nain par
rapport à la pierre levée, mais qui faisait pleurer d’admiration les amateurs
de pittoresque de l’époque, bien confortablement installés dans leur
appartement parisien, se chauffant auprès de leur poêle « Godin », et
rêvant aux merveilles que le monde recèle sans jamais sortir de chez eux. Les
collections de cartes postales m’ont toujours envoûté : leur intérêt
évident n’a d’égal que leur naïveté, pour ne pas dire leur stupidité.
Donc, Carnac, pour moi, dans mon enfance, cela a été d’une
part certaines évocations de ma grand-mère, évocations liées à sa famille, et d’autre
part des cartes postales délirantes. Et je ne pouvais m’empêcher de mettre en
parallèle certaines cartes, où l’on voyait un groupe de jeunes filles en
costumes et coiffes d’Auray, au pied des menhirs, et la photographie, un peu
jaunie il est vrai, de ma grand-mère jeune, avec le même costume et la même
coiffe, celle que l’on appelait la « coiffe en hirondelle ». Je me
disais que lorsque je serais grand, j’irais certainement rôder
à travers ces champs harcelés de pierres et que je me rendrais compte par
moi-même de leur taille réelle. Car je me doutais un peu que les
représentations qui s’étalaient devant moi étaient quelquefois truquées. Hélas…
il n’était pas question d’aller là-bas pour l’instant. La maison d’origine
avait été vendue. La famille s’était dispersée. Pour l’été, nous nous étions
repliés sur la forêt de Brocéliande, toujours dans le Morbihan, mais dans ce qu’on
appelle le Pays Gallo, là où l’on ne parle plus la langue bretonne de nos
ancêtres. Je n’ai pas à m’en plaindre, puisque ces séjours en Brocéliande ont
provoqué en moi cette perpétuelle Quête du Graal qui me tourmente. Mais il faut
bien avouer que cette Quête passe nécessairement par les champs de menhirs de
Carnac. Il y a là quelque chose d’ineffable que chacun de ceux qui se lancent à
la recherche de l’Objet sacré doit connaître avant d’affronter de périlleuses
navigations vers des îles merveilleuses.
J’ai connu Carnac assez tardivement. Et c’est à Brocéliande
que tout s’est décidé, que tout s’est déroulé, comme si la forêt enchantée de
Merlin était le centre d’un monde clos autour duquel je devais rôder avant de
pouvoir signifier mon refus de considérer la réalité apparente comme la seule
et unique forme de connaissance qu’il soit donné de pratiquer pour les hommes
de bonne volonté. C’est au cours d’un voyage entrepris en compagnie de mon père
que j’ai enfin découvert Carnac. Et quand je dis « Carnac », j’englobe
dans ce nom magique toute la région qui l’entoure, le pays de cette mystérieuse
civilisation mégalithique dont, il faut bien l’avouer, nous ne savons rien, sinon
qu’elle fut brillante et qu’elle s’étendit sur plusieurs millénaires, bien
avant l’arrivée des Celtes sur l’extrême ouest de l’Europe.
Car c’est un cliché bien répandu de présenter les monuments
mégalithiques comme des « monuments druidiques », ou comme des
vestiges celtes ou gaulois. Les mégalithes datent d’au moins deux mille ans
avant l’arrivée des Celtes, n’en déplaise à ceux
qui continuent à croire que les dolmens étaient des « autels de sacrifice »
sur lesquels les druides égorgeaient leurs victimes. Il eût d’ailleurs fallu
que les druides fussent des géants pour accomplir pratiquement de tels rites. Et
ce serait oublier que tous les dolmens étaient autrefois recouverts d’un tertre
artificiel formé de pierres, de galets et de terre, donc absolument invisibles.
Il est vrai que l’image d’Obélix, le Gaulois tailleur de menhirs, ne fait que
recouvrir un cliché bien plus ancien ; jusqu’à l’aube
du XX e siècle , on croyait vraiment
que les monuments mégalithiques étaient l’œuvre des Gaulois, les anciennes
cartes et les vieux guides touristiques en font foi. Qui donc oserait douter de
leur autorité ?
Ce qui est certain, c’est que, dans l’esprit du peuple, les
moindres vestiges d’un passé qui ne se réfère pas à une
histoire précise, quelle qu’en soit l’importance, deviennent des objets
fantasmatiques : quand ils ne sont pas des « Tables de César », de
nombreux dolmens sont des « Tables de Gargantua », et des monuments
innombrables sont dits « Cercles des Géants », ou « Roches aux
Fées ». Le surnaturel vient au
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