Cathares
moyens.
Ton dévoué,
Otto Rahn
26
Isolé au sommet de la forteresse, Le Bihan n’avait pas fait attention à l’heure qui avançait. Il avait passé la journée à lire et à imaginer quelle avait pu être la destinée de ces hommes qui avaient choisi de mourir plutôt que de se soumettre. Il avait parcouru le pog en tous sens pour tâcher de mieux comprendre le plan du castrum et de la forteresse. La journée était belle et les sentiers relativement praticables. L’historien songeait à Otto Rahn qui avait effectué les mêmes recherches avant lui. Il se demandait ce qu’il avait pu trouver dans cet enchevêtrement, à première vue inextricable, d’épais fourrés, de branchages et de ruines de pierres.
Vers dix-neuf heures, alors que le jour se couchait, il décida de redescendre pour rejoindre sa voiture. Arrivé à la fin de la journée, il se sentait un peu frustré, mais il tentait de se raisonner. Qu’espérait-il donc ? Trouver une sépulture ? Mettre au jour les restes d’un bûcher ? Et pourquoi pas le trésor des Cathares ? « Allez, Le Bihan, redescends sur terre ! » Il se dit qu’il était un historien sérieux et pas un chercheur d’or. Il devait encore se plonger dans de nombreuses lectures avant de comprendre tout ce qui s’était passé sur ces terres.
Armé de ces sages résolutions, Le Bihan parvint sur la route. Il monta à bord de sa 2CV, la fit démarrer et reprit la route pour rentrer à l’hôtel de Chenal. Il avait envie de lui raconter sa journée. L’automobile étonna Le Bihan en se révélant capable de filer à belle allure sur la route départementale. L’historien regrettait de ne pouvoir s’offrir une voiture avec son salaire de professeur. Le loyer lui coûtait déjà les yeux de la tête et ce genre de luxe lui paraissait à tout jamais inaccessible ! Alors que l’obscurité tombait lentement sur le pays cathare, il essaya d’allumer les phares, sans succès. Il inspecta les commandes sous le volant et quitta un bref instant la route des yeux. Il réussit à tirer le commodo, mais seul le phare de droite s’alluma. Il redressa rapidement la tête et regarda devant lui. À l’instant précis où il fixait à nouveau la route, une silhouette blanche traversa la départementale. Une autre jaillit du bas-côté en poursuivant la première. Elles s’enfoncèrent ensuite dans la végétation, enjambant un grand tronc couché à cet endroit sur le sol. Le Bihan freina de toutes ses forces pour ne pas les heurter. La 2CV fit un tête-à-queue et alla finir dans le bas-côté. Le Bihan bondit hors du véhicule et regarda autour de lui. Il repéra le grand tronc gisant à terre et entra dans la masse végétale. Par chance, sa voiture borgne lui offrait suffisamment de luminosité pour voir où il mettait les pieds. Il s’élança dans le bois, mais dès que les premiers branchages se furent refermés derrière lui, il se retrouva aussitôt dans l’obscurité la plus profonde. En maintenant son allure pour ne pas perdre la trace des fugitifs, il fit encore une dizaine de pas avant que son pied ne s’enfonce dans un trou. Il trébucha et tomba en heurtant la tête contre un chêne. Cette fois, Le Bihan était sonné. Son front avait été entaillé et du sang lui coulait sur le visage. Quelques secondes furent nécessaires pour préciser sa vision et surtout pour remarquer qu’un petit pan d’étoffe pendait à une branche de l’arbre qu’il venait de heurter. Il se releva et s’en empara. La lumière pâle de la lune lui permit de voir qu’il s’agissait d’un morceau de lin blanc portant une tache noire. Le Bihan jeta encore un coup d’oeil dans la végétation. Il s’épongea le front qui continuait à saigner et se dit qu’il ne pourrait plus les retrouver. Il décida alors de retourner vers sa voiture dont le phare borgne dirigeait toujours son faisceau lumineux sur la route. Quand il arriva en vue de la 2CV, il observa à nouveau le morceau de tissu, mais cette fois, à la lueur du phare. Il s’aperçut que ce qu’il avait pris pour une tache noire était en réalité une tache de sang, mais que ce n’était pas de son sang qu’il s’agissait.
Heureusement, il ne fut pas obligé d’accomplir trop de manoeuvres pour remettre la voiture sur la route. En cette saison, le terrain était sec et la 2CV ne s’était égarée que de quelques mètres dans la végétation. Elle en serait quitte pour deux griffes sur la portière, un
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