Catherine des grands chemins
Vendôme un sourire plein de gratitude et, acceptant la main que lui offrait le vieux gentilhomme, elle adressa un bref salut aux deux adversaires, un sourire à Tristan et s'éloigna vers la salle du banquet.
Le souper royal fut, pour Catherine, à la fois un triomphe et une épreuve. Un triomphe parce qu'assise à la droite de la reine Marie elle était le point de mire de tous les regards. Dans ses sévères voiles noirs, sa beauté éclatait au milieu des satins clairs, des chairs laiteuses des belles révélées par les profonds décolletés, des pourpoints rebrodés de fleurs ou de devises précieuses, comme le malfaisant diamant noir avait brillé parmi les pierreries de Garin.
Continuellement, le regard du Roi se tournait vers elle. Il lui faisait porter des mets pris à son propre plat et l'échanson royal lui servait le même vin qu'au souverain, ce cru d'Anjou qu'il aimait entre tous.
Mais ce fut une épreuve aussi car elle pouvait voir les coups d'œil menaçants qu'échangeaient Bernard d'Armagnac et Pierre de Brézé, placés non loin l'un de l'autre. Et le plaisir de Catherine fut gâché par la crainte que la présence même du Roi n'arrêtât pas les deux hommes si leur colère se rallumait. Elle avait l'impression désagréable d'être assise sur un tonneau rempli de poudre. Aussi fut-elle satisfaite quand le souper prit fin et que l'on revint dans la Grande Salle pour danser.
Son deuil l'en dispensant facilement, elle pria la reine Marie et la reine Yolande, sa mère, de bien vouloir lui permettre de se retirer, permission qui lui fut aussitôt gracieusement accordée tandis que deux porteurs de torches étaient chargés de l'accompagner à son nouveau logis. Elle quitta la salle, la tête haute, suivie par bien des regards admiratifs.
La chambre qu'on lui avait attribuée se trouvait dans la tour du Trésor et Sara l'y attendait déjà, amenée tout à l'heure en même temps que les bagages. La mine soucieuse de Catherine l'inquiéta.
— Tu as été reine, ce soir, pourquoi cet air inquiet ?
Elle le lui dit, expliquant son désir bien naturel de bavarder un moment avec celui qui revenait de Montsalvy et le fait que le comte d'Armagnac l'en avait empêchée.
— Je voudrais tout de même bien savoir comment va mon fils, s'écria-t-elle enfin. Je ne pensais pas que cela pût risquer de provoquer un duel.
Il y a des moments où tu ne réfléchis pas beaucoup, remarqua Sara.
Ou alors tu crois le comte de Pardiac plus bête qu'il n'est réellement.
Comment n'aurait-il pas été surpris de voir un aussi grand seigneur qu'un Brézé galoper jour et nuit pendant je ne sais combien de temps pour rapporter un vieux parchemin jauni alors que n'importe lequel des chevaucheurs royaux, avec un ordre dûment signé du Chancelier, eût suffi ? C'était une déclaration d'amour, cette équipée, comme en sont une autre ces rubans noirs et blancs que le jeune Brézé promène partout avec autant d'orgueil que s'il portait Notre Seigneur en personne.
— Et alors ? s'insurgea Catherine mécontente. Que Pierre de Brézé se déclare mon chevalier et affiche même son amour, je ne vois pas en quoi cela regarde messire Bernard d'Armagnac ? Le fait d'être le cousin du Roi ne lui donne pas le droit de s'intégrer dans les affaires d'autrui, j'imagine !
Les yeux de Sara se rétrécirent tandis qu'elle fixait Catherine.
— Ce n'est pas le cousin du Roi qui s'est mêlé de tes affaires. C'est l'ami d'enfance de ton époux, Catherine. Catherine !... déjà une fois je t'ai mise en garde contre le penchant qui t'entraîne vers le jeune Brézé.
Déjà il t'incline à l'ingratitude. Tu ne reprochais pas à Cadet Bernard de se mêler de ce qui ne le regardait pas lorsqu'il éteignait le bûcher de Montsalvy, quand il te donnait Carlat comme demeure. Rappelle-toi l'affection réelle, profonde qui le lie à messire Arnaud. Cet homme-là n'admettra jamais de te voir à un autre. Il a l'instinct du chien qui, en l'absence du maître, protège son bien. Tu appartiens à son ami et nul ne doit l'oublier.
— Si c'était mon désir, personne n'aurait rien à dire, fit Catherine sèchement.
Elle se sentait mal à l'aise, aussi, bien dans son personnage que dans ces voiles noirs qui emprisonnaient son visage. La nuit de juin était chaude et elle voulut détacher l'une des mousselines, mais ses doigts nerveux étaient maladroits ; elle se piqua, déchira un morceau du léger tissu.
— Aide-moi donc ! fit-elle avec
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