Catherine des grands chemins
au moine. Est-ce qu'ils veulent, avant les funérailles, préparer quelque repas ? Un repas gigantesque alors.
Mais Frère Étienne secoua la tête. Il suivait les préparatifs des yeux sans paraître autrement surpris.
— Cela veut dire, ma chère enfant, que ce Scott n'a aucunement l'intention de laisser les ossements de son capitaine à la terre d'Auvergne.
— Je ne comprends toujours pas.
— Oh ! c'est fort simple ! Ce grand chaudron va recevoir le corps du lieutenant. On va le faire cuire dedans jusqu'à ce qu'il soit possible de détacher les ossements que notre Écossais emportera facilement dans un coffre jusque dans son pays. Les chairs seront enterrées sur place, très chrétiennement.
Avec un bel ensemble, Catherine et Sara avaient verdi. La jeune femme porta une main tremblante à sa gorge qui paraissait lui refuser usage, mais, cependant, elle parvint à balbutier :
— C'est immonde ! Ces gens n'ont-ils donc pas d'autres pratiques moins barbares ? Pourquoi ne pas brûler le corps ?
— C'est une pratique honorifique, reprit Frère Étienne tranquillement. On l'emploie quand l'embaumement est impossible ou que le corps à transporter doit parcourir une trop grande distance. Et j'ai le regret de vous apprendre que cette coutume n'est pas spécialement écossaise. Le grand connétable Du Guesclin a subi le même sort quand il mourut devant Chateauneuf-de-Randon. On l'avait bien embaumé, mais, quand le cortège arriva au Puy, on s'aperçut que l'embaumement était insuffisant. On le fit donc bouillir comme Scott va faire aujourd'hui. C'est un grand honneur qu'il entend rendre à son chef... mais si j'étais vous, je ne resterais pas ici.
En effet, le feu flambait sous le chaudron et deux hommes étaient allés chercher le cadavre qu'ils apportaient, solennellement, sur un brancard fait de branches entrecroisées. Épouvantée de ce qui allait suivre, Catherine saisit Sara par la main et l'entraîna en courant vers l'auberge tandis que Frère Étienne, glissant ses mains dans ses manches, se dirigeait calmement vers le chaudron. Tout le temps que durerait l'affreuse opération, il dirait les prières des morts, à genoux, sur le bord de la Dordogne.
L'effrayante cuisine dura tout le jour et, ce jour, Catherine le passa tout entier blottie sous le manteau de la cheminée, dans la salle d'auberge, fixant le feu d'un regard absent, incapable de rien avaler.
Un profond silence régnait dans le hameau. Les paysans, épouvantés, s'étaient barricadés chez eux, claquant des dents et implorant sans doute le ciel de leur épargner la fureur de ces hommes sauvages.
L'aubergiste elle-même n'osa pas sortir de chez elle, Catherine lui avait rapporté les paroles de Frère Étienne et elle savait maintenant qu'il ne s'agissait pas là de quelque infernale pratique de sorcellerie, mais elle avait tout de même bien trop peur pour mettre le nez dehors.
Tout ce que l'on entendait, c'était un ordre jeté par Scott ou bien les coups de marteau du menuisier qui, enfermé chez lui, fabriquait un petit coffre pour les ossements. Sara, aussi terrifiée que Catherine, marmottait des prières à voix basse, mais la jeune femme était incapable de prier. L'impression de vivre un cauchemar était plus aiguë que jamais.
Il faisait nuit noire quand tout fut fini. A la lumière des torches, on enterra les restes de Mac Laren près de la petite chapelle. Catherine prit sur elle d'y assister ainsi que les paysans qui, à bonne distance, regardaient. Il y avait tant de peur dans leurs yeux que la jeune femme frissonna. Sans la présence du moine, ils n'auraient sans doute jamais laissé Scott pratiquer cet étrange rite et les cinq Écossais se fussent trouvés en face de fourches et de haches.
Lorsque la dernière pelletée de terre fut retombée sur ce qui n'avait plus de nom en aucune langue, mais avait été un homme jeune et ardent, les Écossais, visages de bois figés dans une menaçante impassibilité, remontèrent à cheval puis, sans même saluer Catherine et les siens, s'enfoncèrent de nouveau vers le cœur des montagnes. À
l'arçon de la selle de Scott, un coffre de bois grossier était attaché.
La nuit était froide et, quand les hommes eurent disparu, Catherine, Sara et Frère Étienne demeurèrent seuls au cœur de l'obscurité, auprès de la petite chapelle. On ne voyait pas la rivière, mais l'on entendait ses eaux grondantes. Un peu plus loin, les fenêtres éclairées de l'auberge avaient
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