Catherine des grands chemins
courtines relevées, qui lui offrait la douceur de ses draps de lin blanc et de ses couvertures veloutées. Dormir ! Étendre là son corps meurtri, couvert de contusions et d'ecchymoses. Mais la grande épée posée sur une table, l'armure dressée dans un coin, les vêtements masculins jetés sur les sièges et les coffres, ouverts sur de précieux objets de toilette ou débordants de soieries et de fourrures, tout cela lui disait trop clairement qu'elle se trouvait dans la propre chambre de Gilles de Rais. Elle ne savait plus très bien où elle en était, mais la peur, elle, était toujours là, tenace, accablante. Les souvenirs qu'elle gardait de son séjour chez Gilles de Rais se révélaient trop cuisants pour qu'il en fût autrement. Au fond, elle n'avait fait que changer de cauchemar, en échappant au couteau de Dunicha, et celui-ci était pire que l'autre. Ce qui la tourmentait, c'était ce que Gilles allait faire d'elle. Pourquoi l'avoir amenée ici ? Il ne pouvait pas l'avoir reconnue.
Alors ? Si elle était démasquée, sa mort était une affaire sûre, simplement différée. Mais si elle ne l'était pas ? Elle connaissait assez son goût du sang pour savoir qu'il n'hésiterait pas à tuer une Tzigane s'il en avait envie. Il pouvait aussi la violer, puis la tuer... De toute façon elle en arrivait au même point navrant : la mort. Quelle raison, autre que s'en amuser, pouvait avoir Gilles de Rais de traîner chez lui une fille de Bohême ? Sur ses pieds nus, elle alla jusqu'à la cheminée où ronflait un grand feu et se laissa tomber sur un banc garni de coussins. La chaleur lui fit du bien. Elle lui tendit avec reconnaissance ses mains meurtries. Sous la grossière chemise déchirée, qui, seule, la vêtait, son corps tremblait de froid, mais le feu luttait victorieusement contre l'humidité du fleuve et la fraîcheur de la nuit. Sans que la jeune femme y prît garde, ses yeux s'étaient emplis de larmes. Une à une, elles roulaient sur la toile rude. Catherine avait faim... D'ailleurs, depuis son arrivée au camp tzigane, elle avait toujours eu faim. Elle avait mal partout, mais, surtout, elle était lasse, moralement plus encore que physiquement. Le bilan des derniers événements était plutôt accablant : elle était tombée aux mains de Gilles de Rais, son ennemi ; Sara avait mystérieusement disparu, sans parler de Tristan l'Hermite dont elle préférait ne pas chercher à expliquer la conduite.
Cela ressemblait trop à un abandon.
Dans son chagrin, elle ne tenait aucun compte du fait qu'après_ tout elle se trouvait enfin dans ce château où elle avait tant désiré entrer.
Ce furent les bruits extérieurs qui, curieusement, lui en rendirent conscience. Les murs formidables du donjon les étouffaient, mais, par l'étroite fenêtre ouverte, entrèrent les échos d'une chanson. Là, dans le logis royal, de l'autre côté de la cour, un homme chantait sur un accompagnement de harpe.
Belle, quelle est votre pensée ?
Que vous semble de moi ? Point ne me le celez...
Catherine redressa la tête, rejetant la mèche noire qui lui mangeait le front. Cette chanson était la chanson favorite de Xaintrailles et, derrière la voix étudiée du chanteur, il lui semblait entendre encore celle, nonchalante et plutôt fausse, de son vieil ami. C'était cela que chantait Xaintrailles dans le champ clos d'Arras et ce rappel de ses plus chers souvenirs galvanisa Catherine. Ses idées se firent plus claires. Son sang coula mieux dans ses veines et peu à peu elle recouvra la maîtrise d'elle-même. Quelques mots prononcés par le connétable de Richemont lui revenaient : « La Trémoille ne partage même pas le logis du Roi. C'est dans le donjon, sous la garde de cinquante hommes armés, qu'il passe la nuit... » Le donjon ? Mais elle y était ! Instinctivement, elle leva la tête vers la voûte de pierre dont les croisées d'ogive se perdaient dans l'ombre. Cette chambre était au premier étage. L'homme qu'elle cherchait devait vivre là, au-dessus de sa tête... à portée de sa main et, à cette pensée, son cœur bondit.
Elle était si bien absorbée par ses pensées qu'elle n'entendit pas la porte s'ouvrir. Silencieusement, Gilles de Rais s'approcha de la cheminée. C'est seulement quand il se dressa devant elle que Catherine s'aperçut de sa présence. Pour demeurer fidèle à son personnage, elle se leva vivement avec une mine effrayée, que d'ailleurs elle n'avait pas besoin de feindre ; la seule
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