Catherine des grands chemins
jambe semble longue... et le visage est exquis ! Ces grands yeux sombres... ces belles lèvres.
Le souffle asthmatique de La Trémoille se faisait plus court encore et il passait continuellement sa langue sur sa bouche sèche. Sentant qu'il lui fallait jouer le tout pour le tout et qu'une attitude trop modeste ne pouvait convenir à une fille d'Égypte, Catherine s'obligea, au prix d'un violent effort, à sourire avec coquetterie à son ennemi. Sa démarche se fit onduleuse et elle lui adressa même une œillade qui amena au violet le teint du chambellan.
— Exquise, souffla-t-il. Comment se fait-il que je ne l'aie jamais remarquée ?
— C'est une réfugiée, grogna Gilles de Rais. Il y a seulement quelques jours qu'elle est arrivée chez Fero, avec sa tante. Ce sont des esclaves échappées.
Malgré elle, Catherine poussa un soupir de soulagement. Allons, Gilles ne semblait pas disposé à révéler sa véritable identité. Elle se sentait, tout à coup, beaucoup plus à l'aise dans son personnage.
Cependant La Trémoille imposait silence à son cousin.
— Laisse-la donc répondre elle-même que j'entende au moins sa voix. Comment t'appelles-tu, petite ?
— Tchalaï, seigneur ! Cela veut dire « étoile » dans notre langage.
— Et cela te convient à merveille. Viens avec moi, belle étoile, j'ai hâte de te connaître mieux. - Déjà, il saisissait la main de Catherine et, se tournant vers Rais : Merci du cadeau, cousin. Tu sais toujours comment me faire plaisir.
Mais Gilles de Rais se plaça entre le couple et la porte. Le pli de sa bouche n'annonçait rien de bon et ses yeux sombres brillaient d'un feu dangereux.
— Un instant, cousin. C'est, en effet, pour toi que j'ai enlevé cette fille, mais je n'ai pas l'intention de te la laisser dès ce soir.
Malgré elle, Catherine regarda Gilles avec étonne- ment. Elle l'avait cru totalement inféodé à son déplaisant cousin. Et voilà qu'elle découvrait qu'ils n'étaient pas aussi unis qu'elle le pensait. Loin de là.
L'orgueil insensé de Gilles en faisait, à vrai dire, un piètre vassal. On l'imaginait mal se pliant devant qui que ce soit, mais, à cette minute, oui... c'était la flamme du meurtre qui luisait dans son regard.
Comment allait se terminer le duel du tigre et du chacal ? Les petits yeux de La Trémoille se rétrécirent sous leurs plis de graisse tandis qu'une lippe méchante déformait ses lèvres fortes. Mais il ne lâcha pas Catherine. La jeune femme constata seulement que la grosse main devenait moite sur son poignet. La Trémoille devait avoir peur de son dangereux cousin. Mais sa voix, curieusement, ne marqua aucune colère quand il demanda :
— Et pourquoi pas ce soir ?
— Parce que ce soir elle est à moi. C'est moi qui l'ai trouvée, moi qui l'ai sauvée des griffes de l'autre Égyptienne qui allait la tuer, moi encore qui l'ai ramenée ici, décrassée. Je te la donnerai demain, mais, cette nuit, c'est bien le moins que je la garde.
— Ici chacun m'obéit, dit La Trémoille avec une inquiétante douceur. Il me suffirait d'un geste pour que vingt hommes...
— Mais, ce geste, tu ne le feras pas, beau cousin, parce que tu n'aurais pas cette fille. Je la tuerais plutôt avant. Et puis, je sais trop de choses pour que tu t'attaques à moi. Que dirait, par exemple, ton épouse, ma belle cousine Catherine, si elle apprenait que ce beau collier d'or et d'émaux qu'elle désirait, tu en as fait présent à la trop jolie femme d'un échevin de cette ville contre une nuit d'amour ?
Cette fois, La Trémoille lâcha Catherine et la jeune femme, dont les yeux brillants suivaient avec passion cette joute dont elle était l'enjeu, en conclut que le tout- puissant La Trémoille, le fléau du royaume, craignait sa femme comme le feu. C'était bon à savoir. Et, pour ce soir, Rais avait gagné. Elle ne savait trop, d'ailleurs, si elle devait s'en réjouir. Le gros chambellan se dirigeait vers la porte non sans jeter sur la jeune femme un regard de regret.
— C'est bon, marmotta-t-il en haussant les épaules. Garde-la ce soir, mais demain je l'enverrai chercher. Et prends bien garde de ne pas l'abîmer, cousin, car, alors, je pourrais bien oublier cette... tendre affection que je te porte.
Un dernier regard, une grimace qui pouvait passer pour un sourire à l'adresse de Catherine et il avait disparu. Les soldats, impassibles, refermèrent la porte derrière eux en sortant. Catherine et Gilles de Rais furent seuls de
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