Catherine et le temps d'aimer
cachait au plus noir de l'ombre sa blanche forme que les yeux de ces hommes ne devaient pas voir, Muhammad revêtait sa gandoura et sortait du berceau. A sa vue, les porteurs de torches s'agenouillèrent tandis que le Grand Vizir prosternait dans le sable de l'allée ses brocarts et sa silhouette hautaine. Les flammes qui l'environnaient le faisaient flamboyer comme un énorme rubis, mais le reflet qu'elles allumaient dans ses yeux déplut à Catherine. L'homme était faux, cruel, dangereux.
— Que veux-tu, Aben-Ahmed ? Que viens-tu chercher à cette heure de la nuit ?
— Seul un danger pouvait me conduire vers toi, Commandeur des Croyants, et m'inciter à oser troubler les heures trop rares de ton repos. Ton père, le valeureux Yusuf, a quitté le Djebel-al-Tarik1 à la tête de ses cavaliers berbères et se dirige vers Grenade. Il m'a semblé qu'il fallait t'avertir sans tarder...
— Tu as bien fait ! Sait-on pourquoi mon père a quitté sa retraite ?
— Non ! Maître Tout-Puissant, on l'ignore. Mais, si tu veux permettre un conseil à ton serviteur, la sagesse voudrait peut-être que tu envoies à la rencontre de Yusuf pour sonder ses intentions.
— Nul, autre que moi, ne peut se permettre de sonder le grand Yusuf. Il est mon père, et mon trône fut le sien. Si quelqu'un se rend à sa rencontre, ce sera moi, ainsi le veulent les liens du sang... et plus encore si Yusuf vient ici avec des intentions belliqueuses...
— Ne vaudrait-il pas mieux, en ce cas, te garder ?
— Me prends-tu pour une femme ? Va donner des ordres. Que l'on selle les chevaux, que les Maures se préparent. Cinquante hommes seulement, à m'accompagner.
— Pas plus ? Seigneur, c'est de la folie !
1.
Gibraltar.
Pas un de plus ! Va, te dis-je. Je regagne Al Hamra dans quelques instants.
Le dos courbé, Aben-Ahmed se retira à reculons, écrasé apparemment sous le respect, mais Catherine avait saisi au passage l'éclair de joie mauvaise qui avait brillé dans ses yeux nocturnes quand Muhammad avait annoncé son départ. Celui-ci attendit que le vizir se fût éloigné pour rejoindre sa nouvelle favorite. Il s'agenouilla auprès d'elle, caressa les cheveux en désordre de la jeune femme.
Il me faut te quitter, ma rose merveilleuse, et j'en ai le cœur dolent.
Mais je me hâterai afin que peu de nuits s'écoulent avant que je te retrouve.
Ne vas-tu pas au-devant d'un danger, seigneur ?
Qu'est-ce que le danger ? Régner fait naître chaque jour un danger nouveau. Il est partout ; dans les fleurs du jardin, dans la coupe de miel que te présente la main candide d'un enfant, dans la douceur d'un parfum... Peut-être n'es-tu toi-même que le plus grisant... et le plus mortel des dangers !
Crois-tu vraiment ce que tu dis ?
En ce qui te concerne, non ! Tu as des yeux trop doux, trop purs ! Il est cruel de te quitter...
Il l'embrassa longuement, ardemment, puis, se redressant, frappa dans ses mains. Comme par magie, la forme replète de Morayma surgit du rideau noir des cyprès. Le calife lui désigna la jeune femme toujours blottie dans ses coussins.
Ramène-la au harem... et prends-en grand soin ! Tu veilleras à ce que rien ne lui manque pendant mon absence qui sera brève. Où l'as-tu logée ?
Dans la petite cour des Bains. J'ignorais encore...
Installe-la dans les anciens appartements d'Amina... ceux qui jouxtent la tour de l'Eau. Et donne-lui toutes les servantes que tu jugeras bon, mais, surtout, veille sur elle. Ta tête répondra de sa quiétude.
Catherine vit s'effarer les yeux de Morayma. Visiblement le résultat dépassait ses espérances et la Juive ne s'attendait pas à une aussi brutale, aussi éclatante faveur. La façon dont elle s'adressa à la jeune femme, tandis que Muhammad s'éloignait vers les portiques, s'en ressentit. Catherine y décela un respect nouveau qui l'amusa.
— Il faut que tu me retrouves mes voiles, lui dit-elle. Je ne peux pas m'habiller avec ces coussins...
— Je vais te les chercher, Lumière de l'Aurore, ne bouge surtout pas ! La perle précieuse du Calife ne doit plus faire aucun effort. Je vais m'occuper de tout. Ensuite, je ferai venir des porteurs, une litière pour te conduire à tes nouveaux appartements...
Elle allait s'esquiver. Catherine l'arrêta.
— Surtout pas ! Je veux rentrer comme je suis partie, à pied.
J'aime ces jardins et la nuit est si douce ! Mais... dis-moi, ces appartements que l'on me destine sont-ils éloignés de ceux de la princesse Zobeïda
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