Catherine et le temps d'aimer
bras minces, de ses chevilles fines, se perdait dans les flots noirs de sa chevelure dénouée, mais, pour le reste, elle s'enveloppait d'un nuage de gaze couleur de jade qui ne cachait aucun des charmes d'un corps parfait. Et Catherine sentit gonfler sa colère en constatant que sa rivale était encore plus séduisante que dans le souvenir, fugitif à vrai dire, qu'elle en avait gardé. Elle vit aussi que les yeux de Zobeïda ne quittaient pas un instant son prisonnier tandis que lui ne la regardait pas. Il regardait ailleurs, dans le vide que procure l'ivresse, mais une ivresse sans joie, que Catherine, instinctivement, devina volontaire.
Soudain, l'indifférence obstinée d'Arnaud eut raison de la patience de la Mauresque. Elle rejeta son instrument avec irritation, chassa l'esclave d'un sec mouvement des doigts, puis, se levant, alla s'étendre près d'Arnaud, posant sa tête sur les genoux de son amant.
.
Dans la nuit, Catherine frémit, mais Arnaud n'avait pas bougé.
Avec application, il vidait sa coupe lentement, méthodiquement.
Mais Zobeïda voulait le forcer à s'occuper d'elle. Catherine vit ses mains chargées de bagues ramper sur le torse d'Arnaud en une lente caresse, remonter vers les épaules, s'enrouler autour du cou, s'y suspendre pour attirer son visage vers celui qu'elle offrait. La coupe était vide, Arnaud la jeta loin de lui, d'un geste dédaigneux, et Catherine ferma les yeux parce que Zobeïda venait de se hausser jusqu'aux lèvres, d'y coller les siennes en un baiser passionné.
Mais, presque aussitôt, le couple se désunit. Arnaud s'était levé brusquement, essuyant de la main le sang qui perlait à ses lèvres, où Zobeïda avait mordu... Repoussée par lui, la princesse avait roulé sur le tapis.
— Chienne ! gronda-t-il. Je vais t'apprendre...
Il saisit, sur une table basse, une cravache qui traînait et en cingla le dos et les épaules de Zobeïda. Catherine retint un cri de terreur, oubliant sa jalousie devant ce j geste qui ne pouvait signifier selon elle que la condamnation d'Arnaud. L'orgueilleuse princesse devait être |
incapable d'endurer pareil traitement. Elle allait appeler, frapper le gong de bronze posé près du divan, faire accourir ses eunuques, ses bourreaux...
Mais non !... Avec un gémissement plaintif, l'indomptable Zobeïda rampait sur le tapis jusqu'aux pieds nus de son amant, y collait ses lèvres, enlaçait ses jambes de ses bras constellés de perles, levait vers lui des yeux noyés de bête soumise. Elle murmurait des mots que Catherine ne pouvait entendre, mais dont, peu à peu, la magie envoûtante devait jouer sur l'homme. Catherine vit la cravache tomber des mains de son époux. Il prit à plein poing les cheveux de Zobeïda, la releva jusqu'à son visage et s'empara de ses lèvres tandis que de sa main libre il arrachait les dérisoires et encombrantes mousselines. Le couple enlacé roula sur le sol de la pièce tandis qu'au-dehors le ciel, les arbres et les murs se mettaient à tourner autour de Catherine en une sarabande effrayante.
Haletante, le cœur chaviré, elle se plaqua contre le mur froid du palais, luttant contre la syncope. Elle sentait sa vie la quitter, crut qu'elle allait mourir là, dans la nuit, à deux pas de ce couple éhonté dont elle entendait les râles de plaisir... Sa main convulsive chercha la dague familière, à sa hanche, ne rencontra que la molle mousseline qui l'habillait à peine, tâtonna instinctivement à l'entour, saisie par un aveugle, un primitif désir de tuer. Oh ! trouver une arme, pouvoir se dresser devant son époux infidèle, pareille à quelque déesse de la vengeance, frapper cette créature qui osait l'aimer d'un amour abject, un amour d'esclave !... La main de Catherine ne rencontra point l'arme désirée, mais une ronce aux épines acérées qui s'enfoncèrent cruellement dans sa paume, lui arrachant un gémissement vite étouffé, mais lui restituant comme par miracle une conscience plus claire. Au même moment, un bruit de voix, d'allées et venues acheva de lui rendre le sens de la réalité. Elle reconnut le timbre nasillard de Morayma, quitta furtivement sa cachette, rampa sous les arbustes et rejoignit finalement l'allée centrale comme Morayma en personne y arrivait.
La vieille Juive jeta sur Catherine un regard soupçonneux.
— D'où viens-tu ? Je te cherchais...
— Dans ce jardin. La nuit était si... douce ! je n'avais pas envie de rentrer encore, fit la jeune femme avec
Weitere Kostenlose Bücher