Céline secret
Hindus qui ne comprit rien à la
personnalité de Céline et s’enfuit, choqué par la grossièreté de Louis qui
n’avait cessé de le provoquer.
Par correspondance leur entente avait été bonne. C’est à lui
que Céline a le mieux expliqué sa technique littéraire, ce qu’il cherchait à
faire, son idée sur la vie et sur les femmes. Mais c’étaient des hommes trop
profondément différents, et dès que je l’ai vu arriver sur sa petite
bicyclette, mécontent de ne pas avoir l’eau chaude dans la chambre que nous lui
avions réservée, soucieux avant tout de son confort, j’ai compris que ça ne
pourrait pas marcher, que nous courions à la catastrophe. Il aurait dû repartir
tout de suite. Louis s’est montré odieux et moi, comme d’habitude, j’ai essayé
d’arrondir les angles, d’arranger les choses. C’était inutile. C’était pire.
C’est aussi à cette époque, en 1949, que nous avons adopté
la chienne Bessy, berger allemand sauvage, que Louis a entièrement apprivoisée
en la tenant attachée à lui, jour et nuit, pour qu’elle ne dévore pas Bébert.
Au mois de mai 1950, j’ai dû me faire opérer d’urgence d’un
fibrome. L’opération fut atroce. Levée trop tôt, je me suis fait une
éventration, recousue sans anesthésie, la plaie à vif et remplie de pus.
De retour à Korsør à la mi-juillet avec Louis, j’ai, à
l’aide de mes mouvements, refait progressivement toute ma musculature.
Au printemps 1951, grâce à son avocat Tixier-Vignancour qui
s’était arrangé pour qu’au moment du jugement on ne fasse pas le rapprochement
entre Destouches et Céline l’écrivain, nous avons pu bénéficier de la loi
d’amnistie et penser à regagner la France.
CHAPITRE IX.
HUIT JOURS À MENTON. LE RETOUR AU PAYS, MENTON, NEUILLY,
MEUDON ENFIN.
Menton, ses palmiers, son jardin exotique, sa mer
transparente, sa dolce vita. La Côte d’Azur la prend comme une fièvre,
l’angoisse du soleil aussi qui attire et fait mal à la fois.
En avion, nous partons pour une semaine. Comme à Dieppe,
Lucette possède dans le plus bel immeuble de la ville deux chambres qui
dominent la mer. Là aussi tout est tourné vers l’eau. Deux lits surélevés sont
juste en face de la Méditerranée. On ne voit qu’elle, rien d’autre.
Le matin nous regardons, éblouies, le soleil qui se
lève ; le soir, nous le voyons disparaître derrière la mer en éclaboussure
de feu zébrée d’orange et de sang. Ainsi, deux fois par jour, le cœur serré,
nous assistons à la naissance et à la mort du monde.
Louis et moi sommes arrivés à Nice le 1 er juillet
1951, accueillis à l’aéroport par ma mère et mon beau-père Pirazzolli surnommés
par Céline « Tirelire » et « Couscous ». Louis prenait
l’avion pour la première fois et le voyage l’avait enchanté. Dans la soute avec
nous, huit chiens et chats. Bébert et Bessy sont, bien sûr, restés à nos côtés,
mais la plupart des autres animaux, sauvages et traumatisés par le voyage, se
sont à l’arrivée égaillés dans la nature. La chatte Thomine, disparue, est
revenue six mois après chez ma mère qui nous l’a renvoyée à Meudon.
Malheureusement, dès l’arrivée sur la Côte d’Azur, tout est
devenu épouvantable. Ma mère et Louis n’ont jamais pu s’entendre, et ni l’un ni
l’autre ne voulaient faire de concessions. Une seule fois, Louis a cédé, je ne
sais pas pourquoi. Ma mère avait fait des dettes à mon nom et, ce qui est
étrange, c’est que Céline, d’habitude si prudent et si peu prodigue de son
argent, les avait payées.
Pour fêter notre retour, ma mère avait organisé une petite
réception mondaine dans l’appartement de Menton. Louis est immédiatement allé
s’enfermer dans sa chambre et n’a plus voulu en sortir. Il souffrait de la
présence de ma mère, de la chaleur, de maux physiques, de digestion impossible.
Nous pensions rester plusieurs mois sur la Côte d’Azur et,
dès la fin du mois de juillet, nous nous sommes enfuis pour nous réfugier à
Neuilly chez un couple de riches industriels, les Marteau, qui nous avaient
invités. La maîtresse de Gaston Gallimard, l’actrice Valentine Tessier, allait
quitter ce dernier pour Marteau, ce qui donna lieu à des scènes rocambolesques.
Là encore ce fut impossible. La vie de château ne pouvait nous
convenir.
Les animaux ont tout de suite commencé à faire des dégâts
dans l’appartement, et tous les jours je
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