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C'était de Gaulle, tome 3

C'était de Gaulle, tome 3

Titel: C'était de Gaulle, tome 3 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
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grisé par la ferveur de la foule », dit un troisième. Plusieurs approuvent : « Il a été gagné par cet accueil délirant. »
    Et pourtant, il serait bien singulier que le Général se fût laissé emporter par les acclamations populaires. Le 24 juillet 1967, son émotion ne pouvait dépasser celle du 25 août 1944, quand il traversait la foule enthousiaste de Paris libéré et qu'il refusait sèchement de céder aux injonctions de Bidault : il avait décidé de ne pas proclamer la République, puisqu'il l'avait emportée avec lui et qu'elle n'avait jamais cessé d'exister. Il avait décidé de proclamer le Québec libre, puisqu'il estimait que ce peuple n'était plus libre depuis deux cents ans. L'appel à la liberté du 24 juillet n'était pas plus improvisé que l'appel à la résistance du 18 juin. C'était le résultat d'une longue réflexion, transformée en résolution inébranlable.

    « L'essentiel, c'était d'aller au fond des choses ; nous y sommes allé »
    Non loin de nous, d'un côté, quelques membres de l'ambassade du Canada, l'air lugubre et le maintien emprunté ; de l'autre, les membres de la délégation du Québec, rayonnants.
    Quand le Général arrive, il feint l'étonnement en nous apercevant : « Comment, vous, si nombreux ! Ce n'est pas une heure pour se lever, ou pour ne pas se coucher ! Il ne fallait pas vous déranger à cette heure-ci, ce n'est pas raisonnable ! » Nul doute, cependant,qu'il aurait été affecté si nous ne l'avions pas conforté par notre présence massive. Après nous avoir serré la main individuellement, il nous fait mettre en cercle autour de lui et se met à nous parler comme un maître à ses élèves au cours d'une excursion botanique :
    « Je me suis rendu au Québec pour aider les Québécois à échapper à leur situation subordonnée. Le Québec s'est réveillé, la France s'est redressée. Il fallait bien que les Français s'éveillent à leur tour à la question québécoise. Il est vrai que la presse ne nous aide pas dans ce sens et (dit-il en se tournant vers Gorse) la radio et la télévision non plus, d'après ce qu'on me dit. Enfin, tout ça, ce sont des péripéties. L'essentiel, c'était d'aller au fond des choses ; nous y sommes allé.

    « Je n'aurais plus été moi-même si je ne l'avais pas fait »
    « Ce voyage a provoqué une sorte de choc. Un choc auquel ni les Canadiens français qui m'accueillaient, ni moi-même ne pouvions rien. Un choc élémentaire. Tout le monde en était saisi. On ne pouvait pas se contenter de périphrases. Il ne fallait pas tourner autour du pot. Nous avons dissipé les arrière-pensées. Il fallait répondre à l'appel de ce peuple. Je n'aurais plus été moi-même si je ne l'avais pas fait.
    « Le peuple du Québec est en train de se libérer. Il était dans une situation humiliante d'infériorité dans son propre pays, construit par ses ancêtres. C'était une situation typiquement coloniale. Il en a pris de plus en plus conscience au cours des dernières années. Ma visite a en quelque sorte cristallisé tous les sentiments. Les Québécois, maintenant, se sont rassurés sur eux-mêmes. Ils ont la volonté de parler et de vivre chez eux en français, de prendre leur destin en main, d'être maîtres chez eux. Le Québec est français, je crois bien, pour toujours. »
    Quand il nous quitte, il me glisse : « Il faut que je vous voie. Pouvez-vous venir demain ?
    — C'est-à-dire aujourd'hui ?
    — Voyez avec Tricot. »
    Nous restons encore là, saisis par cette foi à déplacer les montagnes. Je vais vers Couve, qui est en retrait et me semble maussade. Il se contente de me dire, laconiquement : « Eh bien, voilà !
    — Et vous, qu'en pensez-vous ?
    — Il a eu tort. »
    J'essaie d'en savoir davantage. Il finit par me lâcher : « Il doit bien savoir que l'indépendance du Québec est impossible. Ça ne peut déboucher que sur un désastre. »

    « Que diriez-vous si je leur criais : " Vive le Québec libre ! " »
    Je rejoins ensuite l'amiral Philippon 5 , en tenue blanche à boutons d'or : « Vous croyez que c'était une improvisation ? » Il sourit et me raconte : « Oh, je ne crois vraiment pas ! Sur le pont du Colbert, pendant la traversée de l'Atlantique, il était venu se dégourdir les jambes, il m'a dit qu'il était en train d'écrire les discours qu'il allait prononcer : "Que diriez-vous si je leur criais: Vive le Québec libre ?" Je lui ai répondu : "Oh, vous n'allez pas faire ça, mon général !

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