C'était de Gaulle - Tome II
devez pas céder devant le particularisme des ministères ! Vous devez savoir en gros, avant d'entrer dans la salle du Conseil, ce que les ministres vont dire, et vous y préparer. Demandez, exigez de recevoir la veille au soir le résumé de la communication de chacun des ministres qui en fait une. »
Pompidou m'ayant donné son accord, j'avais préparé en août, à sa signature, une circulaire à cet effet. Le secrétariat général du gouvernement l'avait bloquée : pareille méthode ferait trop de remous. À la mi-septembre, m'échoit le ministère des Rapatriés. Quand je reviens à l'Information, le 5 décembre, la circulaire préparée en août est restée dans les tiroirs.
Il a fallu que le Général pousse lui-même une colère, le 27 mars 1963, pour que l'affaire se débloque :
« Je vous vois peiner, me dit-il à l'issue du Conseil , pour avoir l'accord de vos collègues avant qu'ils ne s' égaillent. Pourquoi ne leur demanderiez-vous pas de faire d'avance un résumé pour la presse de ce qu'ils vont dire ? »
Peut-être est-il surtout irrité de devoir attendre quelques instants à la sortie du Conseil, pendant que je fais le tour des ministres communiquants pour m'entendre avec eux ? N'a-t-il pas trouvé ce moyen oblique et courtois pour m'obliger à le suivre dans son bureau à l'instant même où il a fini de serrer les mains ? Ou a-t-il jeté son regard de lynx sur un défaut d'organisation ? Il attache aux questions de méthode une attention qui n'a nullement faibli depuis ses écrits antérieurs à la guerre. Je ne me le fais pas dire deux fois et je fais retaper la circulaire préparée en août dernier. Pompidou la signe incontinent puisque — Burin le lui confirme — c'est un ordre du Général 2 . Comme les choses sont simples, quand le Général tape du poing sur la table !
« Vous n'avez pas fait la rectification que je vous ai demandée »
Salon doré, 27 mai 1963. Le Général m'a convoqué. Il est en colère contre « certain journal » (il répugne à le nommer) qui amorce une campagne de presse pour accabler le gouvernement à partir du rapport de la Cour des Comptes. Il me dicte littéralement ce que je dois dire aux journalistes « pour mettre fin à l'exploitation qu'on est en train de faire de ce rapport ».
Le Général développe sans aucune note sous les yeux, mais comme s'il en avait une sous son regard intérieur. Que nous voilà loin, pourtant, du « domaine réservé » ! Il conclut : « Si vous n'écrasez pas rapidement cette campagne de presse, vous allez voir qu'elle va s'amplifier.
AP. — Mais ça devrait être à Giscard de le faire ?
GdG. — Puisqu'il ne le fait pas, je vous demande de le faire. »
D'ordinaire, le Général « laisse courir » les journalistes. Cette fois-ci, il voit que la seule façon de répondre à une campagne de presse, c'est de la tuer dans l'œuf. Change-t-il de méthode ? Passe-t-il du mépris à la pédagogie ? Mais il me demande de fouler les plates-bandes de Giscard. J'appelle celui-ci sur l'interministériel, avant de faire la déclaration prescrite. Il grimpe aux rideaux : « Mais c'est mon affaire ! Je vais en faire l'objet d'une communication au prochain Conseil. Je vous conjure de ne pas me couper l'herbe sous le pied ! »
Or, au Conseil du 5 juin 1963, la communication de Giscard souligne plutôt ce qu'il y a de positif dans ce rapport, ce qui déclenche Pisani :
Pisani : « L'État est mis en accusation par des opposants qui s'appuient sur ce rapport de la Cour des Comptes. Faut-il rester sans voix devant des critiques sans fondement ? »
Le Général tourne la tête vers moi : je pique du nez dans mes papiers. Toujours apaisant, Pompidou : « Il ne faut pas dramatiser les effets sur l'opinion. Il est bon d'entendre des critiques. Ça fait du bien. »
Après le Conseil, le Général s'étonne :
« Vous n'avez pas fait la rectification que je vous ai demandée la semaine dernière à propos de la Cour des Comptes ? Je ne l'ai vue nulle part. » J'explique au Général que j'ai averti Giscard ; il fera le battage nécessaire tout à l'heure, à l'issue du Conseil.
GdG : « Naturellement, chaque ministre entend être propriétaire de l'information de son ministère. Ça ne va pas ! C'est vous et personne d'autre qui êtes chargé de coordonner l'action de l'État en matière d'information ! Ne vous laissez pas manger la laine sur le dos, que diable ! »
Conseil du 31 juillet 1963.
Devant des collègues méfiants,
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