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C'était de Gaulle - Tome II

C'était de Gaulle - Tome II

Titel: C'était de Gaulle - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
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tard, je reçois une lettre manuscrite qui, avec quelques gentillesses, revient sur ce qu'il avait développé oralement :
    « Dans notre monde, combien de mondes ! Celui de Normale nous montre comment la puissance peut se tirer de la désinvolture. »
    La formation qu'il a reçue, ou s'est donnée, lui a enseigné que la « puissance » ne peut résulter que de l'acharnement, de l'engagement total. Il reste étonné qu'elle puisse récompenser le dilettantisme. A-t-il trouvé ce qui le sépare à jamais des intellectuels ?

    « Une pensée de Péguy ? "L'ordre seul fait en définitive la liberté" »
    Mais il est des écrivains qui lui permettent de prendre de l' altitude.
    Salon doré, 1 er juillet 1964. À la fin de notre tour d'horizon hebdomadaire, de Gaulle redresse la tête, impératif :
    « Ah ! Je voulais vous dire. Il faut que vous vous disposiez à faire le 5 septembre, pour le cinquantenaire de la mort de Péguy, un discours à Orléans. » Puis, l'ordre donné, il s'excuse courtoisement de m'imposer une corvée : « Vous comprenez, je voulais prononcer cette allocution moi-même, là où il est tombé, à Villeroy, le 5 septembre, avant d' aller à Meaux, puis à Reims le 6, pour commémorer la bataille de la Marne... Mais on a organisé ce jour-là de grandes célébrations à Orléans. Alors, ça ne va plus avec la bataille de la Marne, c'est autre chose. J'avais pensé à Malraux, mais il s'est récusé ; Péguy n'est pas son type. »
    Ces explications n'étaient pas nécessaires pour que je me plie à ce rôle de roue de secours. J'en profite pour questionner le Général : « Si c'est vous qui aviez fait le discours, qu'auriez-vous souhaité dire ? Qu'était Péguy pour vous ? »
    Il garde un instant le silence.
    GdG : « Ce que j'ai apprécié en lui, c'est un style. Une pensée. Une culture. Des jugements. Des réactions. Une pensée, à la fois, d'une extraordinaire continuité, où l'on retrouve sans cesse les mêmes principes, les mêmes idées-forces ; et d'une grande mobilité, puisqu'il l'exerce sur des situations changeantes, et qu'il aime aussi changer d'optique.
    AP. — Y a-t-il un mot, une sentence de lui, qui vous ait frappé plus que les autres ?
    GdG (sans hésiter). — Une pensée de Péguy ? "L'ordre et l'ordre seul fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude. " »

    Dimanche 6 septembre 1964, devant le parvis de la cathédrale de Meaux. Quand l'aide de camp ouvre la porte, le préfet Verdier me pousse en avant. Le Général, en uniforme kaki, se déplie. Il me garde la main un instant, ce qui n'est pas dans ses habitudes : « Je vous ai vu à la télé 7 . C'était bien. »

    « Péguy sentait les choses exactement comme je les sentais »
    Salon doré, 9 septembre 1964, le Général me reparle de Péguy. Occasion pour renouveler mes questions :
    AP : « Me permettez-vous de vous demander si Péguy a effectivement exercé une influence sur vous ? Plus que Pascal, que Chateaubriand, que Bergson ?
    GdG. — Aucun écrivain ne m'a autant marqué. Dans les années qui ont précédé la guerre, je lisais tout ce qu'il écrivait, pendant mon adolescence et quand j'étais à Saint-Cyr, puis jeune officier.Je me sentais très proche de lui. Ce qui m'intéressait surtout chez lui, c'était son instinct.
    AP. — Son instinct national ?
    GdG. — Pas seulement. Je dis bien : son instinct. Il sentait les choses exactement comme je les sentais, et j'avais l'impression, la conviction, qu'il ne se trompait pas, alors que beaucoup autour de nous se trompaient.
    AP. — Vous avez baigné dans le même climat, vous avez eu la même formation intellectuelle ?
    GdG. — Oui, bien sûr, nous étions portés par notre époque. Mais beaucoup d'autres, qui l'étaient aussi, ne pensaient pas de la même manière.
    « Et puis, j'étais attiré par son style, son goût des formules, ses répétitions. Bien sûr, il y avait dans tout cela de la confusion et des termes abscons. Alors là, je ne l'en approuvais pas. Mais, tout à coup, après un long piétinement et quelques expressions peu réussies, il a des formules fulgurantes. Ça aussi m'attirait beaucoup, et je pense qu'il a dû, à cet égard, m'influencer.
    AP. — Mais l'essentiel, c'est bien ce qu'il appelait "la personne France " ?
    GdG. — Oui, évidemment. Il était très français. Il était même terriblement revanchard. L'autre jour, le fils de Millerand m'a donné une lettre autographe de Péguy à son père. Millerand

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