C'était de Gaulle - Tome II
été empêchée, d'une part, par Staline; mais d'autre part, par les Anglo-Saxons, qui n'en voulaient à aucun prix. Car ils ne voulaient pas voir la France la première en Europe. Bien. Ils ont donc tout fait pour l'empêcher. Cette politique ne pouvait pas se faire contre tout le monde à la fois. Je reconnais que c'était extrêmement difficile, car à ce moment-là nous étions un pays malade, pratiquement sans finances, pratiquement sans armée, qui n'avait plus rien, et c'était pratiquement impossible à imposer, quelque bluff que j'aie pu faire.
« Alors, il y avait une seconde politique, qui consistait à incorporer l'Allemagne à l'Ouest, pour faire contrepoids à la Russie soviétique qui boulottait l'Europe orientale. Il fallait faire l'équilibre. Ça imposait que l'Allemagne fût à l'Occident. C'est la politique que nous essayons de pratiquer. D'abord, en ayant appliqué le traité de Marché commun. Et puis, en ayant fait le traité franco-allemand. Mais pour ça, il faut que l'Allemagne se lie effectivement à l'Europe occidentale, c'est-à-dire à nous. Or, elle ne le fait pas, elle se lie à l'Amérique! Il nous restera la solution de revenir à la politique d'entente avec l'Est. Il faut tenir les deux fers au feu. »
Le croit-il vraiment? N'est-ce pas un jeu de l'esprit? Tirerait-il toutes les conséquences d'un réel renversement, non d'alliancescertes, mais en tout cas de perspectives? J'en doute. Mais pour que la menace ait son effet, il n'est pas nécessaire de tenir le deuxième fer au feu. Il suffit qu'on puisse le craindre. Et il se sert sûrement de moi pour distiller cette menace.
Après un temps de repos, le Général continue: « L'Allemagne est sous protectorat américain, en matière politique, militaire, économique. Donc, il n'y a pas moyen de faire une politique franco-allemande, ni, a fortiori, une politique européenne, puisqu'il n'y a pas moyen de faire une politique européenne indépendante. Toute la question est là.
AP (essayant un scénario plus optimiste). — Les Allemands ont besoin du bouclier atomique américain pour le moment. Mais les Européens prendront conscience qu'ils sont de plus en plus forts. Dans cinq ans, nous passerons à la deuxième génération de notre armement atomique, et nous aurons un vrai bouclier.
GdG. — Non. Nous aurons une dissuasion suffisante pour nous faire respecter. Seulement, les Allemands ne seront pas sûrs que ça les couvre automatiquement et complètement. D'ailleurs, ils ne sont pas sûrs non plus que les Américains les couvrent. Notre défense les couvrirait même plus sûrement que les Américains, parce que nous avons un intérêt plus direct que les Américains à ne pas voir arriver les Soviets sur le Rhin. La vraisemblance de la dissuasion par nous est au moins aussi grande que par eux.
« Dans notre attelage, les Allemands ne sont pas le cheval de tête, ça les embête »
« Seulement, ça les embête aussi, de nous être inférieurs. Et, dans cette Europe où, en réalité, nous tiendrons les rênes parce que nous aurons la bombe, et une influence mondiale qu'ils n'ont pas, une influence africaine, une influence américaine au Sud et au Nord, une influence asiatique. Dans notre attelage, ils ne sont pas le cheval de tête, ça les embête.
« C'est un pauvre pays qui a une jambe de bois. Il en sera ainsi tant qu'ils ne seront pas réunifiés. Ce qui arrivera un jour ou l'autre, mais ce n'est pas encore fait: l'Empire soviétique n'est pas encore près d'éclater, et il faut d'abord qu'il éclate.
AP. — En France, il y a maintenant une majorité favorable à l'idée de la réunification, alors qu'avant la réconciliation franco-allemande, on ne voulait pas en entendre parler.
GdG. — Oui. On y est moins hostile. Toute la question, c'est l'entente franco-allemande. Si elle réussit, l'Europe est faite. Mais tant que l'entente franco-allemande n'est pas faite, l'Europe ne se fera pas. Elle peut se faire sous la forme des technocrates et des parlementaires, qui instituent des trucs dans lesquels ils palabrent. C'est comme ça qu'ils voient l'Europe, eux, les Spaak, les Monnet et autres Maurice Faure. Ce n'est pas une politique européenne ça,ce sont des fictions, dans lesquelles on se prélasse, en laissant les Américains faire en réalité la politique de l'Europe. Les Allemands en sont encore là, leur gouvernement en est encore là. Mais leur opinion n'en est déjà plus là.
« Il y a déjà eu
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