C'était de Gaulle - Tome II
l'inflation dans ce pays. Il faut que le budget 1965 soit exemplaire. On ne peut pas faire tout à la fois. Il faut donc étaler. »
Le trio ne laisse paraître aucune faille : les « dépensiers » se le tiennent pour dit.
« Non seulement ça continue, mais ça durera ! »
Salon doré, 17 juin 1964.
AP : « Le Journal du Dimanche parle de l'arrêt du plan de stabilisation. Il paraît que vous y seriez décidé.
GdG. — Ce sont des inventions !
AP — Alors, on continue ?
GdG. — Bien sûr qu'on continue ! Et longtemps encore !
AP. — Toute l'année 1965, malgré l'élection présidentielle ?
GdG. — Mais naturellement ! Et non seulement ça, mais il faudrait qu'on en sorte avec des dispositions définitives, comme quand Poincaré a fait voter une loi constitutionnelle pour l'amortissement, vous vous rappelez ? Non, vous ne savez pas, vous étiez trop jeune, c'était en 26.
AP. — Je naissais à peine, mais je l'ai lu dans les livres.
GdG. — Il avait fait voter une disposition pour l'amortissement des dettes de l'État, sous la forme constitutionnelle. Il avait réuni le Congrès à Versailles, de manière qu'on ne puisse ensuite rien y changer. Je ne dis pas qu'on fera la même chose, sous la même forme. Mais on peut prendre des dispositions de principe, probablement législatives, pour maintenir de manière impérative certaines conditions de la stabilisation. En particulier, en ce qui concerne les dépenses publiques.
AP — Qu'il n'y ait pas d'impasse ? L'interdire par la loi ?
GdG. — Pourquoi pas ? Dans les anciens budgets, il n'y avait pas d'impasse. Le budget était voté avec des recettes et des dépenses rigoureusement identiques. Rajouter des dépenses qui n'étaient pas gagées par de vraies recettes, c'est une idée qui ne serait jamaisvenue. Ça a fait son apparition quand l'inflation est devenue la règle ! On s'est mis à boucler le budget par l'inflation, en faisant fonctionner la planche à billets, en émettant des bons du Trésor. Il faut donc en finir une fois pour toutes avec l'impasse.
AP. — Quand il y a des plus- values fiscales, il faut bien les remployer sous forme de dépenses supplémentaires ?
GdG. — On les remploiera toujours. Naturellement.
AP. — Alors, on ferait un collectif en fin d'année.
GdG. — Non ! C'est une très mauvaise disposition ! Vous vous arrangez pour que ces recettes supplémentaires soient dérivées d'une année sur l'autre. C'est l'enfance de l'art. Et ça ne crée pas de moyens de paiement artificiels. Les lois de programme sont faites pour dépasser ce que le budget annuel a de trop étroit. Elles permettent de corriger l'annualité. Alors, les collectifs, c'est fini ; l'impasse, c'est fini ; l'inflation, c'est fini. »
« Il faut se laisser les mains libres »
Sans doute le Général a-t-il essayé son idée de loi constitutionnelle, façon Poincaré, sur quelques visiteurs. Sans doute s'est-il rendu compte que les inconvénients seraient plus grands qu'il n'avait imaginé. Toujours est-il qu'il fait grise mine à sa propre idée, quand Giscard, au Conseil du 26 août 1964, la reprend et la proclame.
Après le Conseil, je demande au Général : « Que pensez-vous de l'idée de Giscard ?
GdG. — Le principe est bon, mais il ne faut pas être plus royaliste que le roi. Giscard démontrait qu' on ne pouvait pas établir un budget sans impasse, et maintenant il veut qu'on s'y oblige constitutionnellement. Il faut se laisser les mains libres. Supposez une guerre, une dépression économique grave dont on ne puisse sortir qu'en recourant à l'emprunt, que sais-je ? On ne peut jamais savoir. La vie est imprévisible. Nous devons nous fixer des règles à nous-mêmes, mais ne pas nous les imposer artificiellement, pour une période future dont nous ignorons tout. »
Il a écarté la tentation d'enchaîner l'avenir par un texte. Reste à être exemplaire, dans le présent, pour façonner des habitudes nouvelles — et d'autant plus que 1965 est l'année du rendez-vous entre l'État et la Nation.
1 « Je n' ai ni or ni argent » (Actes des Apôtres, 3, 6). Foyer se garde d' aller jusqu' au bout du propos de saint Pierre : « Mais ce que j'ai, je vous le donne ! »
2 Les prélèvements obligatoires (État, collectivités, charges sociales) représentaient en 1964 34 % du PNB. En 1997, ils représentent 46 %. Giscard avait déclaré à la tribune : « Au-dessus de 40 % de prélèvement publics, un pays peut être considéré comme
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