C'était de Gaulle - Tome II
ne se situe pas tout à fait au plan voulu. Il ne faut pas seulement que, d'Angleterre ou de France, le Concorde traverse l'Atlantique. Il faut aussi que d'Allemagne, de Suède, d'Italie, il puisse en faire autant. On doit s'orienter vers des avions de transport à plus longue distance. Ce projet pouvait alimenter notre industrie de façon brillante. Tout ça n'est pas une raison pour jeter le manche après la cognée. Il n'y aurait que les Russes... »
Des yeux s'écarquillent autour de la table. Le silence s'épaissit. Comme c'est pathétique, ce vieil homme et la mer de découragement qui l'entoure.
« Il faut regrouper les industries françaises autour de grandes ambitions »
Il reprend, comme pour effacer l'hypothèse incongrue qu'il vient d'évoquer : «Seulement, les Russes, c'est une autre histoire. N'en parlons plus. Mais il est indispensable de s'orienter vers la suite. Le premier avion supersonique risque fort d'être américain. Et après ? Les cellules? Nous ne devrions pas avoir trop de difficultés. En revanche, pour les moteurs, nous ne sommes pas fichus d'en faire. (En public, il dit "capables" ; en Conseil: "fichus" ; en tête à tête: "foutus".)
« Pourquoi cette carence ? Parce que nous ne le voulons pas.
Pompidou. — C'est une faiblesse générale de l'industrie française : nous n'avons pas une industrie des métaux suffisante. C'est la base qui est insuffisante.
GdG. — Si nous renonçons, nous nous enfonçons. C'est toujours possible de s'effacer. Cela permet de végéter ; cela ne permet pas d'exister. On ne peut donner l'impulsion à l'industrie que s'il y a des projets! C'était ça, l'intérêt du Concorde. C'est ça, l'intérêt de Pierrelatte. Il faut faire appel aux industries françaises et les grouper autour de grandes ambitions. Chaque projet comporte un effet d'entraînement, de propagande, de prestige pour d'autres projets et d'autres ventes. »
« Ils ne veulent pas le faire»
Après le Conseil.
AP: «Vous ne voyez aucune solution de rechange au Concorde?
GdG. — Je n'en vois pas.
AP. — Vous avez évoqué les Russes?
GdG. — Je crois que ce ne serait pas pratique. Ça soulèverait des montagnes de difficultés.
AP. —Alors, vous voulez qu'on oblige les Anglais à avouer que ce sont eux qui déclarent forfait.
GdG. — Oui, et peut-être, qu'ils se laissent aller à quelques dédommagements. Mais je n'y crois pas. Seulement, il faut que ça soit bien établi qu'ils ne tiennent pas un engagement qu'ils avaient pris. Les Anglais voulaient noyer le poisson. »
En obligeant les Anglais à se découvrir, le Général ne leur a pas facilité le renoncement. Mais il pensait qu'ils renonceraient néanmoins. Le 2 décembre, il y revient. «Ils ne veulent pas le faire. Ils sont obligés de taper les Américains, qui font pression sur eux pour les obliger à renoncer. Les Allemands, les Italiens ne peuvent pas. Il n'y aurait que les Russes, mais ça ferait des tas d'histoires. Les travaillistes sont dans l'état où nous étions sous la IV e . De toute façon, travaillistes ou conservateurs, ils finissent toujours par s'incliner devant les Américains. »
« Je m'étais habitué à l'idée qu'on ne le ferait pas »
Au Conseil du jeudi 21 janvier 1965, Jacquet fait état d'un revirement anglais : « Pour le Concorde, un accord est intervenu. On n'étale pas le projet pour les prototypes, mais on allongera les délais pour les séries. Notre avance sera de cinq ans par rapport aux Américains. Les Anglais considèrent que notre avion sera vendable, et nous acceptons d'associer les Allemands ou les Italiens, selon une formule à trouver.
GdG. — Ne nous laissons pas entortiller. Les Anglais sont revenus sur leur refus de faire le Concorde. Ils ne peuvent plus reculer. Il faut les avoir jusqu'au trognon. Noyer le poisson en allant chercher les Américains, les Allemands ou les Italiens, ça ne rapporterait rien. Il faut leur dire : "Bon, vous avez décidé de remplir vos engagements, nous tenons les nôtres." Le reste, ce sont des simagrées. »
Après le Conseil, le Général me dit : « Si les Anglais sont revenus sur leur refus de poursuivre la construction du Concorde, c'estqu'ils n'ont pas pu faire autrement. Bon, bon, très bien, faisons le Concorde. Je m'étais pourtant habitué à l'idée qu'on ne le ferait pas, qu'on ferait quelque chose de plus rentable, de plus commercial. Nous ne pouvons plus reculer, puisque les Anglais ne reculent pas, mais je ne
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