C'était de Gaulle - Tome II
légant C ontre les AM éricains. Le Général ne rit pas.
« Occupez-vous sérieusement de ce dossier »
GdG : « Cette affaire de la télévision en couleurs est importante. Elle va être symbolique. L'Europe sera-t-elle capable, oui ou non, de relever le défi ? Les Anglais sont satellisés par les Américains, nous le savons bien. Mais les Allemands ? Ils ne comprennent donc pas qu'un procédé franco-allemand s'imposerait à toute l'Europe ? Et que ça vaudrait la peine que nos deux pays assurent l'indépendance technologique et industrielle de l'Europe, face aux Américains ? Occupez-vous sérieusement de ce dossier. Je suis prêt, si vous croyez que c'est utile, à en parler avec le Chancelier Erhard. »
Il conclut, en me reconduisant jusqu'à la porte : « La télévision prend une place de plus en plus grande dans la vie d'aujourd'hui. Elle grignote sans cesse le cinéma, la radio, les journaux. Elle finira par les reléguer dans un coin, quand elle sera passée à la couleur. C'est le grand moyen de communication de demain, avec les individus comme avec les masses : pour l'information, pour la culture, pour l'enseignement, pour la formation professionnelle, pour les loisirs, elle va se substituer à tous les moyens traditionnels. Ce sera l'instrument qui forgera l'esprit public. Qui tient la télévision tient un pays ».
« Pourquoi ne ferions-nous pas aussi bien que les Allemands ? »
Sept mois plus tard, le 21 octobre 1964, je fais part au Général de ma déception. Les entretiens que j'ai eus l'avant-veille et la veille avec le secrétaire d'État allemand à l'Information Günther von Hase et son adjoint, l'ambassadeur Günther Diehl, ont été entièrement négatifs. Les conversations entre industriels des deux pays sont au point mort. Une année entière de pourparlers se conclut par un refus catégorique et définitif.
AP : « Hase se retranche derrière les dirigeants de Telefunken. Ils ne seraient prêts à partager par moitié les bénéfices d'une coproduction franco-allemande, que s'ils craignaient de ne pas conquérir, avec le procédé allemand, la moitié du marché. Or, ils comptent bien le conquérir tout entier !
GdG. — Comment, tout entier?
AP. — Leurs industriels ont prospecté les pays occidentaux quienvisagent de s'équiper de la couleur. Ils ont constaté que leur concurrent français n'avait pas pris cette peine. Tout le monde parie sur le succès de l'industrie allemande.
GdG. — Mais pourquoi ?
AP. — Pour exploiter un procédé, il faut conjuguer beaucoup de facteurs: un réseau commercial dynamique, une organisation rationnelle, la persévérance pour surmonter les obstacles techniques, la stabilité et la rentabilité des entreprises, la discipline dans le travail, de bons rapports entre patrons et salariés, le répondant financier, la solidarité entre les entreprises intéressées. Tous ces facteurs, les clients virtuels savent que l'industrie allemande les réunit, et ils n'en croient pas capable l'industrie française. »
Le Général, comme scandalisé, me rétorque vertement: « Pour les autos, ou les avions, ou les hélicoptères, les Allemands ne font pas mieux que nous, ou font moins bien! Et notre métro de Montréal 5 ? Et nos camions en Chine 6 ? Pourquoi ne ferions-nous pas des téléviseurs aussi bien qu'eux?
« Les Allemands se conduisent mal »
AP. — Les Allemands comptent sur un effet de boule de neige. Nous serons empêchés d'abaisser les prix et d'améliorer la formule, faute d'acheteurs assez nombreux; alors que l'industrie allemande verra ses coûts diminuer et aura vite les moyens de perfectionner son procédé. Ils me prédisent que tout se passera comme pour le 819 lignes 7 , que nous sommes les seuls à utiliser, en compagnie du Vatican auquel nous l'avons offert. Nous rallierons nos anciennes colonies à nos frais, mais tout le monde industrialisé se ralliera au procédé allemand. »
Je ne répète pas au Général le propos cruel de mon homologue: « La France est le pays des plus beaux prototypes, mais qui restent à l'état de prototypes. Votre usine marémotrice de la Rance, quelle merveille! Personne ne l'a imitée, même pas en France! Et de Gaulle, quel prototype extraordinaire ! »
Depuis deux ans, von Hase et moi nous fréquentons amicalement. Je suis sûr qu'il a voulu dire : «De Gaulle est un héros comme nous rêverions d'en avoir un. Mais le prototype réussi restesolitaire. Où est la série? Il tient la
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