C'était de Gaulle - Tome II
l'incitation. Il faut essayer d'aller le plus possible vers la rentabilité, mais il faut voir aussi la meilleure incitation pour les secteurs de pointe. »
« Depuis quarante ans, nous ne sommes pas foutus de faire des moteurs »
Après le Conseil, je lis au Général, pour approbation, un mot manuscrit que m'a fait passer Pompidou autour de la table : « Vous pourriez indiquer que la Grande-Bretagne a des difficultés dues à une excessive consommation et que cela n'est pas pour nous surprendre ; que nous allons voir quelles sont leurs intentions définitives pour le Concorde ; que nous en tirerons les conséquences, bien décidés en tout cas à ne pas laisser mourir l'industrie aéronautique française. »
Le Général sursaute : «Vous ne pouvez pas dire ça ! Il ne faut pas interpréter ! Ce n'est pas à nous, dans une déclaration gouvernementale, d'expliquer les difficultés britanniques. Ce n'est pas charitable, ni même convenable. Non, ils ont leurs difficultés. Voilà tout. Ils vont nous indiquer avec plus de précision comment ils vont y faire face. Alors, ce sera à nous de voir ce que nous ferons. C'est ça la question.
« Pour le Concorde, Jacquet dit : "Si on nous demande de le reporter d'un an, alors ça n'est pas la peine de faire le Concorde." C'est possible, c'est pas sûr, il faut voir. Jacquet a dit aussi : "C'est pas un projet rentable, il n'était fait que pour tirer d'affaire Sud-Aviation." Le fond du problème, en ce qui concerne notre industrie aéronautique, c'est qu'ils ne sont pas foutus de faire des moteurs. Et puis c'est tout ! S'ils étaient foutus d'en faire, comme nous faisons des cellules qui sont les premières du monde, on y mettraitdes moteurs, et nous serions concurrentiels, et nous n'aurions pas besoin des Anglais.
« Depuis quarante ans, nous ne sommes pas foutus de faire des moteurs. Nous avons des polytechniciens, des centraliens, un tas de zigotos, et ça n'a jamais été foutu de faire un moteur. Quand c'était des moteurs à hélices, ils n'étaient déjà pas foutus d'en faire. Et maintenant que c'est des moteurs à réaction, ils ne le sont pas davantage. Et j'ajoute qu'ils ne sont pas non plus foutus de faire des moteurs de moto ni de bateau.
«Nous nous plaçons sous dépendance»
AP. — Ça montre le danger qu'il y a à s'en remettre à un autre pays pour une industrie essentielle.
GdG. — Voilà ! C'est ça la vérité ! (Il aime qu'on le devine.) Pour aller plus vite, parce que c'est plus commode, on achète la licence. Et allez donc! Alors, on s'arrange avec Rolls-Royce, on s'arrange avec Pratt et Whitney, et on leur achète leurs moteurs. Les Anglais et les Américains trouvent ça très bien! Mais pendant ce temps-là, nous ne faisons jamais de moteurs, nous nous plaçons dans leur dépendance.
AP. — Pour la Caravelle, c'était pareil, le moteur est Rolls-Royce.
GdG. — Évidemment ! Pourquoi n'avons-nous jamais été foutus de faire des moteurs de Caravelle ? Je n'ai jamais compris pourquoi. Nous sommes aussi capables que les Anglais et les Américains de faire toutes sortes de machines extraordinairement compliquées, des machines électroniques ou des trucs atomiques ; pourquoi ne sommes-nous capables de faire aussi des moteurs ?
AP. — Ça pourrait être une raison impérieuse de demander à la SNECMA de faire quelque chose.
GdG. — Oh ! Ce sont des jean-foutre. »
« C'est pas une raison de jeter le manche après la cognée »
Au Conseil du 12 novembre 1964, Marc Jacquet rend compte de ses conversations avec son homologue Roy Jenkins. Celui-ci propose de suspendre, en plein accord avec les autorités françaises, les travaux pour le Concorde comme tel, et d'élaborer un projet nouveau pour un autre avion supersonique. Le Général ne l'entend pas de cette oreille:
« S'ils ne veulent pas faire le Concorde, qu'ils le disent. Nous voulons et pouvons continuer. À eux de prendre leurs responsabilités.
«Évidemment, nous ne ferons pas le Concorde tout seuls. Niavec les Allemands et les Italiens, qui n'en peuvent mais. Ni avec les Américains, qui ne sont pas souhaitables et ne le souhaiteraient pas. Bref, nous ne le ferons pas.
« Nous avons des valeurs chez nous, qui peuvent faire la preuve de leurs capacités d'études, de recherche, d'invention. Si nous ne pouvons démontrer ces capacités à l'occasion de Concorde, il faudrait le faire à propos d'autre chose. Les critiques faites à Concorde viennent peut-être du fait qu'il
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