C'était de Gaulle - Tome II
suis pas sûr que ce soit une bonne affaire, tellement c'est cher. »
Le Général a un ton résigné. On ne peut pas faire autre chose que de poursuivre : les Anglais reviennent sur leur refus, que nous n'avons pas accepté. Il ne cherche même pas à cacher qu'il aurait été soulagé que les Anglais renoncent. Il a joué gros jeu : il escomptait leur renoncement et il a perdu. Et sans doute par sa faute : il pensait n'avoir à faire qu'à des « socialistes» ; mais, en titillant leur fierté, il a trouvé des Anglais.
« Il n'y aurait que les Russes, mais ça ferait des tas d'histoires »
Il avait évoqué l'idée d'une conversion du projet franco-anglais en projet franco-soviétique : trois fois. Une fois au Conseil, mais pour aussitôt l'écarter. Deux fois devant moi. « Il n'y aurait que les Russes, mais ça ferait des tas d'histoires.» Le propos m'avait intrigué. J'ai appris, depuis, que le Général avait eu l'idée de proposer aux Russes de se substituer à l'Angleterre. Il avait sondé Vinogradov. Les Russes y étaient tout disposés. Mais il avait bien fallu en parler à Pompidou et Couve, qui le convainquirent de renoncer à cette aventure: le « secret-défense » était tellement impliqué dans la construction du Concorde, que les Américains auraient tout fait pour empêcher cette volte-face. Ç'aurait été une crise majeure, bref, « une autre histoire ».
Mais cette histoire rentrée trottait dans la tête du Général. Elle allait bientôt guider sa conduite dans l'affaire de la télévision en couleurs.
1 Mach est la mesure de la vitesse du son dans l'air, du nom du physicien autrichien qui en a établi la théorie : soit 1213 km à l'heure. Concorde peut parcourir 2 669 km en une heure.
2 Le premier vol de Concorde aura lieu le 2 mars 1969, quelques semaines avant le retrait du général de Gaulle.
3 Les Américains renonceront à leur SST 2707 en mars 1971.
4 À Nassau (Bahamas), Macmillan avait accepté, en contrepartie de la livraison de fusées américaines Polaris, de placer la force nucléaire britannique sous commandement américain.
5 C'est le projet « Airbus », qui, développé avec l'Allemagne, aboutira au premier vol d'essai en octobre 1972.
Chapitre 13
« CETTE AFFAIRE DE LA TÉLÉVISION EN COULEURS EST IMPORTANTE »
Au Conseil du 3 mars 1964, je fais une communication sur la télévision en couleurs. Trois procédés sont en concurrence. Le système américain NTSC 1 , le procédé allemand PAL 2 , le procédé français SECAM 3 .
Le premier a l'énorme supériorité, étant exploité aux États-Unis depuis dix ans et au Japon depuis cette année, de s'adosser aux deux industries électroniques les plus puissantes du monde ; mais ses couleurs sont instables d'une seconde à l'autre 4 ; et des techniciens doivent passer de temps à autre pour régler les récepteurs. Le deuxième et le troisième ont l'avantage d'une stabilité plus grande de l'image et d'un réglage plus simple, auquel le client peut procéder lui-même en tournant un bouton ; mais ils restent encore au stade du laboratoire. Comme la jument de Roland, ils ont toutes les qualités, sauf celle d'exister. Devant ces trois concurrents, une conférence d'experts, à Vienne, essaiera dans un an de préconiser un système unique pour toute l'Europe.
Le Général, après le Conseil, me crible de questions. Il n'avait pas voulu le faire en Conseil, de manière à ne pas provoquer un débat qui n'aurait pas été préparé; sa méthode s'y oppose: on n'improvise pas dans le désordre. «Que vont faire les Anglais?
AP. — Ils font campagne pour le système américain.
GdG. — De leur part, on ne peut pas s'attendre à autre chose.
AP. — Mais si un mouvement se manifestait en faveur du PAL, qui n'est que le système américain amélioré avec un zeste de SECAM, ils seraient disposés à s'y rallier. En revanche, ils combattent le SECAM, le plus éloigné du procédé américain.
GdG. —Alors, que vont faire les Allemands ?
AP. — J'ai eu plusieurs conversations avec mon homologue von Hase pour essayer d'aboutir à un système commun, qui marie le PAL et le SECAM et qui puisse rallier l'Europe. Mais il m'affirme que les Lois fondamentales interdisent au gouvernement allemandd'intervenir sur les organismes de télévision et encore plus sur l'industrie allemande. »
Pour détendre le Général, je lui raconte que, selon von Hase, les techniciens allemands interprètent le sigle SECAM : Système É
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