C'était de Gaulle - Tome II
politique de l'emploi est nécessaire, et il n'y a que le ministre du Travail qui puisse la guider. Grandval a raison !
AP. — Mais nous voulons agir par orientation, non par coercition. On ne porte pas atteinte à la liberté d'établissement et de circulation.
GdG. — On peut influer sur elle, par la bande ! Par exemple, on va fermer des chantiers navals à Nantes. Si des types vont être licenciés, et si on les forme pour faire autre chose, ils trouveront unemploi nouveau. Tandis que si on ne les forme pas, il est fort possible qu'ils ne trouvent pas d'emploi nouveau, ou n'en trouvent pas sur place. Alors, ça fait des histoires à perte de vue qu'on pourrait parfaitement éviter avec un peu de prévoyance.
AP. — Je vais expliquer ça, tout en écartant le mot " dirigisme" que n'aime pas le Premier ministre, parce que les gens ne veulent pas être dirigés.
GdG. — N'employez pas le mot si vous ne voulez pas, mais la réalité est bien là. Si on a peur du dirigisme, où va-t-on ? Tout le monde va vouloir entrer dans l'électronique. C'est une mode. Mais il faut qu'il y en ait qui entrent dans la métallurgie. Il faut qu'il en reste à faire le travail du bois. Voyez...
AP. — Le mot le meilleur, c'est peut-être " orientation ", il s' applique aussi bien à l'orientation professionnelle, scolaire, universitaire.
GdG. — Si vous voulez. D'ailleurs, c'est l'esprit du Plan. Le Plan n'est pas une coercition. Il est une orientation. »
Chapitre 18
« IL FAUT ÔTER AUX SYNDICATS LEUR DOMAINE REVENDICATIF, ET LEUR OUVRIR LE DOMAINE CONSTRUCTIF »
Pompidou s'est mis en devoir de « tirer les conséquences » de la grève des mineurs. L'une d'elles, c'est la réglementation du droit de grève. Elle va faire l'objet d'une loi. Après le comité interministériel du 2 mai 1963 qui la met au point, Pompidou me dit : « Ce sera la preuve tangible que le gouvernement et la majorité qui le soutient ont fini par gagner cette pénible bataille. »
Les grèves reviennent quand même, régulièrement. Celles qui prennent un peu d'ampleur sont toujours l'objet de la vigilance du Général.
Au Conseil du 5 juin 1963, Jacquet annonce une grève à la SNCF contre l'introduction d'un procédé automatique, dit « l'homme mort»: au lieu de deux mécaniciens, un seul suffit. Les responsables syndicaux ont lancé un ordre de grève de deux heures, qui bloquera le service vingt-quatre heures puisqu'elle est tournante.
GdG : « C'est l'histoire des canuts de Lyon qui recommence. Aujourd'hui, on ne jette plus les métiers jacquards dans le Rhône, mais on refuse un système de sécurité qui fonctionne depuis longtemps sur l'ensemble des réseaux européens. C'est toujours le refus de la modernité. C'est une grève corporative de lutte contre le progrès. Il est probable que le public n'appréciera pas. Mais n'appelez donc pas ce procédé "l'homme mort" ! Appelez-le "veilleur automatique" ! »
Au Conseil du 6 novembre 1963, Louis Joxe fait le point des grèves de vingt-quatre heures qui affectent tour à tour fonctionnaires et services publics. Celle d'EDF est en cours.
Bokanowski (ministre de l'Industrie, c'est-à-dire des entreprises publiques) : « À EDF, peut-on faire un service minimum ? Une épreuve de force déchaînerait les passions. Les électriciens occuperaient par la force certains points sensibles, on aurait des représailles.
GdG. — On ne peut tolérer de n'avoir pas du tout de courant. Cette éventualité peut se trouver aussi dans une conjoncture politique destinée à renverser l'État. On ne peut pas se mettre dans ce cas.
Bokanowski. — Je suis prêt.
GdG. — Je voudrais des précisions.
Bokanowski. — Je vous les apporterai. »
Chacun sent le chef : le Général fait pression sur les ministres. Il les exhorte à la vigilance. Il imagine le pire. La participation a ses limites, qui sont celles du devoir d'État.
« Les grèves ? Affichez un détachement complet »
Après le Conseil, le Général fait en sorte que ces dispositions guerrières ne filtrent pas à l'extérieur : « Les grèves ? Affichez un détachement complet. On ne peut pas faire le bilan d'une grève qui est en cours. On ne va pas pérorer tant que l'événement a lieu.
AP. —Attachez-vous de l'importance à ces grèves ?
GdG. — Une grève comme celle-là n'a pas grande importance, mais elle en a toujours trop. Au fond, les syndicats ne pouvaient pas faire moins sans se déconsidérer complètement aux yeux
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