C'était de Gaulle - Tome II
je l'ai envoyé en Chine, enfin, plutôt, disons qu'il s'y est envoyé et que j'en ai profité pour lui confier une mission exploratoire. Il m'a déjà fait savoir l'essentiel. Maintenant, il va falloir négocier et ce ne sera peut-être pas si facile.
AP. — L'Inde le prendra mal ?
GdG. — L'Inde n'a pas de conditions à poser. D'ailleurs, elle-même a un ambassadeur à Pékin. Mais il n'était pas inutile qu'Edgar Faure s'arrête à Delhi pour avoir des conversations avec les dirigeants indiens, car tout ça va provoquer des bouleversements dans l'Asie des moussons.
(Il a dit va comme si c'était déjà fait.)
AP. — Et le Cambodge ? Vous avez vu ce qu'a dit Sihanouk ?
GdG. — Sihanouk est un homme à foucades. Il faut toujours qu'il fasse des discours inattendus. Un jour, il dénonce l'aide occidentale. Un autre jour, il annonce qu'il s'alignera sur la Chine communiste, ou qu'il nationalisera les banques.
AP. — Il n'est pas très aimable avec nous, alors que notre doctrine encourage sa politique de neutralité.
GdG. — Avec un type comme celui-là, il ne faut pas s'emballer. Le Cambodge en a assez des États-Unis, comme la plupart des pays sous-développés qui ont été placés sous protectorat américain. Il essaie de se tourner vers les Chinois. Et pour obtenir de bonnes dispositions de leur part, il veut faire semblant de dauber sur nous. On verra bien. »
Salon doré, 4 décembre 1963, j'essaie d'en savoir plus.
AP : « Êtes-vous satisfait du sondage qu'Edgar Faure a effectué en Chine ?
GdG. — Ce n'est pas mal. Il y a des éléments encourageants.
AP. — Mais ça ne va pas aboutir tout de suite ?
GdG. — Certes pas. On verra bien. »
Quand il prend ce ton, j'ai avantage à changer de sujet — ou à plier bagage. Il ne veut rien me dire.
« Les Américains avaient expulsé les Français, les Français prennent la relève des Américains »
Salon doré, 11 décembre 1963.
AP : « Alors, nos activités dans le Sud-Est asiatique se précisent, avec la visite de Messmer au Cambodge ?
GdG. — Cette visite va nous remettre au premier plan au Cambodge. Après Dien Bien Phu, les Américains avaient expulsé les Français. Maintenant, les Français prennent la relève des Américains. Juste retour des choses.
AP. — Mais Sihanouk nous invective de temps en temps.
GdG. — C'est un farfelu. Tantôt il nous couvre de fleurs, tantôt il pisse le vinaigre. En fait, il a besoin de nous. Il appelle Messmer et nous demande de pourvoir à ses besoins.
AP. — Une coopération avec le Cambodge sera facilitée, si en même temps nous nous rapprochons de Pékin ?
GdG. — Bien sûr. Il est essentiel que nous encouragions le Cambodge dans sa politique de neutralité et que le Cambodge devienne un exemple pour tout le Sud-Est asiatique. Si, en même temps, nous resserrons nos relations avec Pékin, nous aurons avec nous les pays qui souhaitent échapper aux deux blocs. Nous réapparaîtrons alors (un geste des deux bras grands ouverts) dans ce Sud-Est asiatique dont nous avons été chassés honteusement. Les Anglais ne comptent plus. Les Américains se sont rendus odieux. Ils se sont précipités pour nous supplanter, en pensant que c'était une bonne affaire. Ils auraient mieux fait de nous laisser tranquilles. »
« Y a-t-il avantage à laisser les Chinois s'enfermer comme des assiégés ? »
Salon doré, 18 décembre 1963.
AP : « Vous avez reçu Dean Rusk. Ça s'est bien passé ?
GdG (un peu bourru). — Il n'y a aucune raison que ça se passe mal. Les Américains font les aimables. Ils y ont intérêt.
AP. — Il vous a parlé de la Chine ?
GdG. — Il m'a fait une grande fresque des dangers que représentent les Chinois, leur doctrine conquérante, leur agressivité militaire, leurs efforts pour propager le castrisme en Amérique latine, leur exigence d'abandonner Formose, leur irresponsabilité.
« Je lui ai répondu que le monde libre devait être satisfait que la Chine et les Soviets se séparent. Les Soviets se calment en Afrique et en Amérique latine, puisqu'ils se rendent compte qu'ils n'en retirent que des ennuis. Les Chinois vont faire un galop d'essai, mais je doute qu'ils fassent mieux. La seule question qui compte est de savoir s'il y a avantage à laisser les Chinois s'enfermer comme des assiégés et devenir furieux, ou au contraire à avoir des contacts qui nous permettraient d'agir sur eux. Si la Chine s'ouvrait à l'Occident, ça aurait peut-être quelque effet
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