C'était de Gaulle - Tome II
ça ne les empêchait pas de nous mettre des bâtons dans les roues. »
Après le Conseil.
AP : « Ce matin, le Guardian, et Walter Lipmann dans le Herald Tribune, disent tous deux: "De Gaulle a raison. Il nous rend service en affirmant que l'avenir est à un Vietnam neutre et indépendant. Rien ne justifie l'attitude américaine."
GdG. — Quelques Anglo-Saxons commencent à se rendre compte que c'est vrai. Mais Kennedy n'en a pas dit autant.
AP. — Il a eu cette formule : "La France ne peut jouer un rôle en Indochine, puisqu'elle n'y a pas de forces." Ça ne vous fait pas penser au mot de Staline : "Le pape, combien de divisions ?"
GdG. — Le pape n'avait effectivement pas de forces militaires. Je ne suis pas le pape, mais j'ai des divisions. Nous aurions matériellement les moyens de rentrer en Indochine et mieux que les Américains, grâce à notre connaissance du terrain et des hommes. Kennedy y entretient 15 000 hommes et y a perdu 106 soldats. Nous pourrions nous offrir le luxe d'envoyer 15 000 hommes en Indochine et d'y perdre 106 soldats. Ce serait sans commune mesure avec les efforts gigantesques que nous avons faits pendant sept ans et les hécatombes que nous avons subies. Ce serait facile, avec nos réseaux d'influence et la déception qui a suivi notre départ, de susciter à Saigon un gouvernement fantoche — un de plus —, de renverser Diem et d'organiser de grandes manifestations avec des pancartes : Americans, go home ! et Vive les Français ! Ce gouvernement ferait solennellement appel à nous et nous n'aurions plus qu'à arriver comme des fleurs.
« Mais, ce jeu-là, nous ne le jouerons pas. Nous ne sommes pas assez bêtes pour ça. Nous ne ferons pas comme Kennedy, qui s'use, qui ne sait pas comment y entrer ni comment en sortir, et qui doit penser que nous ne serions pas capables de corrompre quelques généraux indochinois. Nous en avons bien corrompu, dans des circonstances lamentables, contre le Vietminh. Nous sommes bien capables de faire ce que font les Américains, c'est-à-dire d'être battus. Mais pourquoi voudriez-vous que nous le fassions ?
« Les Américains seront contraints de s'en aller »
« Un pauvre pays, comme le Vietnam ou le Laos, doit échapper à la pression des communistes et des Américains. Il faut donc qu'il soit neutralisé, sans quoi il est écrasé, par moitiés, par les uns et par les autres.
« Un jour ou l'autre, il faudra bien qu'on en vienne là. Alors, pourquoi ne pas le faire tout de suite ? Un jour ou l'autre, les Américains seront contraints de s'en aller. Pourquoi ne s'en vont-ils pas d' eux-mêmes tout de suite ? Qu' espèrent-ils ? »
Il prend son temps. Il est lancé.
« Ce que les Américains pourraient faire, s'ils étaient malins, c'est de s'emparer d'un point, d'un point unique, au Vietnam ou en Chine, et de n'en pas démordre. Les invasions de la Russie par Charles XII 3 , par Napoléon ou par Hitler, ont brillamment commencé. Elles ont toujours fini par des désastres. L'immensité, l'impossibilité de tenir tous les territoires conquis... Et surtout la résistance du sentiment national. En Russie, il y a une seule campagne qui a réussi : la guerre de Crimée. Parce qu'on a choisi un point précis, Sébastopol. Tout l'effort militaire des deux camps s'y est concentré et quand Sébastopol est tombée, les Russes ont traité.
« Les Américains auraient pu se dire : " On prend un archipel au large d'Haiphong, ou on s'installe à Cam-Ranh, ou on prend des îles à l'embouchure du Yang-tsé."
AP. — Les îles Zhoushan.
GdG. — Peut-être... (Il n'en est pas sûr. Il ne veut pas faire croire qu'il sait. Mais je parierais qu'il ira regarder sur sa mappemonde, à sa main gauche, si j'ai bluffé.)
« ...et on s'y installe. On peut négocier. Au lieu de ça, les Américains veulent pourchasser le communisme dans les rizières ! (Rire.). Qu'est-ce que ça peut bien leur faire, que les riziculteurs soient communistes ? De toute façon, tout ça ne tiendra pas, pas plus l'occupation américaine que le communisme. Seul tiendra le sentiment national, qui chassera les Américains. C'est dans leur intérêt que je les mets en garde. Ils sont un peuple jeune, ils n'ont pas d'expérience. Ils ne connaissent pas l'Histoire. Ou bien, ils s'imaginent que ce qui est vrai pour les autres n'est pas vrai pour eux. »
1 L'Inde a mis la main sur les Établissements français en 1954, à la suite de notre retrait d'Indochine. La cession officielle
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