C'était de Gaulle - Tome II
y est, il n'est pas sûr qu'elle n'en tirera pas avantage pour troubler l'eau. »
Pompidou, avant que le Général ne conclue, veut nettoyer le terrain. Il répond méthodiquement aux principales objections avancées :
« Quelles seraient les raisons que la France aurait de ne pas prendre une telle décision ? Rester absente ? C'est exclu. Un conflit en Afrique ? C'est fini. Créer un précédent pour un pays qui est un faux-semblant, l'Allemagne de l'Est ? Ça ne tient pas.
« Il pourrait y avoir des raisons d'alliance ou de politique générale d'importance telle qu'on préférerait ne rien faire. Ces raisons existent-elles vis-à-vis de la Chine ? Non. Il n'y a de réactions à attendre que de Formose et des États-Unis.
« En face de ces inconvénients, que faire ? Il est possible d'y parer par la méthode adoptée, par la coloration qu'on donnera. Ce geste important, il faut le faire à un moment où il comporte un avantage qui peut être saisi avec le moins d'inconvénients. Ce moment approche.
« Le "péril jaune " ne va pas croître en fonction de cette reconnaissance. En Afrique, il y a déjà une action clandestine des Chinois : cette clandestinité n'est pas la meilleure forme d'action que l'on peut souhaiter de leur part.
« Donc, les avantages compensent, au moins, les inconvénients qu'il y a à nier la réalité chinoise. »
« La Chine meurt d'envie d'être reconnue par nous »
Le Général prend son souffle pour conclure : « Le fait chinois est là. C'est un pays énorme. Son avenir est à la dimension de ses moyens. Le temps qu'il mettra à les développer, nous ne le connaissons pas. Ce qui est sûr, c'est qu'un jour ou l'autre, peut-être plus proche qu'on ne croit, la Chine sera une grande réalité politique, économique et même militaire. C'est un fait et la France doit en tenir compte.
« Quels seraient les avantages à ne pas la reconnaître ? Personne ne nous offre rien pour nous en détourner. Nous faisons des affaires avec tout le monde. Nous avons des alliés. Nous conservons ces alliances. Peut-être, même, le fait de prendre ce tournant n'est pas sans avantages pour nos alliés. Il y a une réalité de la Chine. Il ne faut pas la méconnaître.
« Et puis, il y a la façon de faire. Nous avons procédé à quelques sondages. Les conclusions sont positives. La Chine meurt d'envie d'être reconnue par nous. Elle ne le cache pas. Elle voit le monde comme il est. Les Soviets sont devenus ses adversaires et les États-Unis le sont restés.
« Je vous récite ce que disent les Chinois. La Chine ne voit aucun autre interlocuteur que la France. Le Japon lui apparaît comme un satellite des États-Unis. La Grande-Bretagne s'est effacée. LaFrance existe. Elle est indépendante. Elle est pour la Chine une réalité, et même la seule.
« Les inconvénients ? Nous aurions tort de rompre de nous-mêmes avec Chiang Kaï-shek. Que fera le gouvernement de Formose ? Ça le regarde, mais nous ne prendrons aucune initiative hostile contre lui.
« Il y a toujours un moment où il faut trancher les nœuds gordiens »
« Les Africains, Arabes ou Noirs ? Pourquoi le fait que nous aurions des relations avec la Chine aurait-il pour conséquence d'affaiblir nos amis ? Si nous sommes à Pékin, c'est pour quelque chose, c'est pour peser.
« C'est notamment pour que, dans le Sud-Est asiatique, on fasse la paix et que la France puisse y retourner. Si nous nous apercevons que ça ne sert à rien, il sera toujours temps de partir.
« Il y a les questions pratiques. Dans l'état actuel, ça ne changera pas beaucoup en économie. Les Chinois sont misérables. Au point de vue culturel, la Chine a besoin de s'exprimer. C'est un peu fort que les Chinois n'apprennent que l'anglais. Le fait que nous y serons et que notre culture ne les dégoûte pas nous permettra de nous étendre ; il y aura davantage de gens qui parleront français à travers le monde.
« Il semble que le moment est venu de trancher le nœud gordien. Celui-là, comme les autres : il y a toujours un moment où il faut les trancher.
« Quant à l'exécution, nous allons procéder de façon normale, en parlant d'abord avec nos alliés, sans oublier les pays avec lesquels nous avons des relations suivies. Verra-t-on jaillir tellement d'étincelles ? Je ne crois pas. D'abord, parce qu'on a pris l'habitude de nous voir nous exprimer par nous-mêmes. Il y aura une tempête à Washington, mais elle finira bien un jour par s'apaiser.
«
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