C'était de Gaulle - Tome II
soient inquiets.
AP. — Je crains que le secret n'accroisse leur inquiétude. Il me semble qu'on aurait pu dédramatiser la nouvelle, en laissant filtrer son éventualité, puis sa probabilité.
Pompidou. — Vous avez peut-être raison sur le plan de la technique d'information. Mais vous ne changerez pas le Général. D'abord, il a le culte du secret...
AP. — C'est un bon principe, quand il s'agit de " surprendre l'adversaire", comme il dit. Aujourd'hui, il n'y a pas d'adversaire à surprendre.
Pompidou. — Oui. Mais il faut compter aussi sur sa pudeur. Il ne supporte pas l'idée qu'un problème de santé intime puisse être mis sur la place publique. S'il s'était fait amputer d'une jambe, il aurait été probablement moins cachottier. »
Pompidou : « Le Président de la République décidera »
Pour la première fois de la V e République, ce 22 avril 1964, le Conseil se déroule sans le Général; non à l'Elysée, mais à Matignon.
Pompidou est soucieux d'apparaître comme celui qui tient la barre sans faiblir en l'absence du Général, mais qui reste modeste.
Après le Conseil, il me met en garde : « Faites attention à ne pas donner l'impression qu'on peut très bien se passer de lui. Vous n'aurez pas de téléspectateur ou de lecteur plus attentif que lui. (Ça ne changera pas; mais Pompidou, cette fois, se sent sur la sellette.)
« Dites bien que ce Conseil des ministres s'est déroulé comme à l'ordinaire et que les ministres ne se sont pas conduits comme des écoliers dissipés. Le Premier ministre a agi en vertu d'une délégation exceptionnelle. S'il est nécessaire, la semaine prochaine, de tenir un autre Conseil, cette formule se renouvellera une seconde fois. Le Président de la République décidera.
« N'oubliez pas de souligner qu'il m'a chargé d'expliquer aux ministres qu'il avait dû garder le secret à l'égard de tout le monde, y compris d'eux-mêmes. Il tenait à épargner au pays l'anxiété dans laquelle cette nouvelle aurait risqué de le plonger. Le Général a arrêté le minutage de l'hospitalisation en fonction du Conseil des ministres. Il reprendra ses activités à l'Élysée prochainement.
« Expliquez que ce qui se passe est prévu par les textes. Je ne suis pas Président de la République par intérim, j'exerce des pouvoirs normaux et provisoires, par délégation et sous le contrôle du Président de la République. Si vous dites un mot de trop, on va dire, il va dire : "Pompidou veut prendre la place." Vous allez marcher sur des œufs. »
Je n'ai jamais eu tant de journalistes pour ma conférence de presse hebdomadaire — à la suite d'un Conseil dont l'ordre du jour était mince.
Pompidou : « Que les ministres se manifestent davantage »
Au cours du Conseil, c'est bien son style personnel que Pompidou avait affirmé. Pas de grandes fresques; des conseils pratiques.
Pierre Dumas se soucie : « Il n'y a aucun texte à l'Assemblée ! »
Pompidou tance les ministres : « Je vous avais pourtant bien prévenus, Messieurs, en janvier ! Le Parlement n'a pas assez de travail, parce que vous n'avez pas assez travaillé.
« Que les ministres se manifestent davantage à l'Assemblée, dans les départements, dans la presse de province ! Qu'ils présentent non seulement leur propre action, mais les lignes générales de la politique du gouvernement :
« Le plan de stabilisation est en train de réussir.
« Nécessité d'un effort : rien ne marche si l'on va à vau-l'eau.
« Défense nationale : nous bâtissons notre indépendance.
« Utilité de la coopération : nous travaillons pour nous-mêmes en même temps que pour le tiers-monde.
« Ce sont des thèmes excellents. Or, je constate que les discours dominicaux sont pratiquement réservés aux représentants de l'opposition. »
Le Général préfère que chaque membre du gouvernement ne parle que des affaires de son ministère et ne se confonde pas, le dimanche, avec de simples députés haranguant des militants. Pompidou a-t-il saisi l'occasion pour faire passer un message qu'il n'aurait pas osé formuler en présence du Général — le message de sa différence ?
Pompidou : « C'est une affaire qui ne doit pas encombrer le Conseil »
Conseil du 6 mai 1964.
Le premier Conseil que préside le convalescent s'ouvre à 10 heures 30, une heure plus tard que d'habitude. Pompidou s'est arrangé pour que le Général puisse se reposer une heure de plus le matin. Et le Général, un peu amaigri, mais frais
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