C'était de Gaulle - Tome II
l'ORTF. Quand Pompidou revient de vacances, le 26 août, je me plains énergiquement : « Une des principales innovations de l'Office, c'est que le contrôle financier, au lieu d'être a priori, comme auparavant et comme dans les administrations, serait a posteriori, comme dans la Régie Renault ou les autres entreprises publiques. C'est indispensable pour lui donner la rapidité de mouvement, la souplesse. Comment peut-on envoyer un reporter en mission en Afrique quand éclate un coup d'État s'il faut attendre le visa du contrôleur d'État ? Et voilà que les Finances, d'un trait de plume, rétablissent le contrôle a priori !
Pompidou (le sourire aux lèvres). — Vous n'avez donc pas encore compris que tout le jeu de Giscard, c'est de montrer que le ministre principal, ce n'est pas le Premier ministre, c'est le ministre des Finances ? »
J'arrache quand même au Premier ministre la promesse qu'il interviendra auprès de Giscard.
Une semaine plus tard, Pompidou m'affirme qu'il est fermement intervenu auprès de Giscard. Celui-ci lui a dit : « Je ne peux pas faire perdre la face devant tout le ministère à ceux qui ont préparé cet arrêté. Laissez-moi quelque temps. »
Les semaines ont passé. J'ai relancé Giscard, puis de nouveau Pompidou. Rien n'est venu. Il a fallu attendre cinq ans 3 pour que paraisse enfin l'arrêté établissant le contrôle a posteriori.
Pompidou ne se faisait pas d'illusions. Il savait qu'il ne serait pas pleinement Premier ministre tant que Giscard serait aux Finances. Mais chacun des deux doit ménager l'autre, qu'il reconnaît comme son principal rival. Comment ne pas admirer que la puissance de Giscard soit devenue telle qu'il puisse se mettre en état de rébellion, et qu'on admette la chose comme inévitable ? Le tout grâce à son seul talent ? Il est, désormais, en tiers dans le couple.
« C'est Pompidou qui a fait sauter les chiffres »
Le 4 novembre 1964, Messmer présente au Conseil une mouture de la loi de programmation militaire.
GdG : « Je constate que vous avez renoncé à donner les chiffres. Ça a peut-être quelque avantage, si l'équivoque et le doute en eurent jamais. Mais ça vide cette loi-programme de son contenu. »
Messmer se tait : le Général exige que cette loi-programme soit contraignante; Pompidou la souhaite vague. Celui-ci réplique : « Une loi-programme doit permettre au Parlement de se rendre compte de la direction prise. Mais ce ne sont pas cinq budgets à voter d'un seul coup.
GdG (insistant). — Je ne crois pas nécessaire de spécifier les chiffres année par année. Mais pourquoi pas un ordre de grandeur pour cinq ans ? La question vous sera posée !
Messmer (renchérissant). — Inévitablement. »
Après le Conseil, le Général me dit : « C'est Pompidou qui a fait sauter les chiffres. Il prétend que ça fait un effet de masse insupportable. Je ne le crois pas. Le populo, que ce soit 20 milliards de nouveaux francs ou 140 milliards, il ne voit pas la différence. Il sait que ça fait beaucoup d'argent, c'est tout. Il y a un différend entre le Premier ministre et Messmer. »
Il ne m'en dit pas plus, et je ne me suis pas autorisé à le questionner. Son cœur va vers Messmer, mais il n'a pas voulu donner tort à Pompidou devant le gouvernement. Il se découvre :
« Il est souhaitable que les dépenses militaires soient clairement annoncées, et que les gouvernements qui suivront ne puissent en démordre, sans encourir les foudres de tous ceux qui nous auront soutenus. Ce que je souhaite, c'est lier les gouvernements qui viendront après moi. »
Ne me laisse-t-il pas entendre que Pompidou est aussi désireux de ne pas engager les gouvernements futurs (dont il espère sans doute nommer les membres), que lui-même l'est de les engager ? Et cependant, il ne me le dit pas. Parce qu'il ne veut pas tout me dire. Parce qu'il est de plus en plus prudent, au point parfois de paraître presque intimidé devant la compétence et l'autorité croissantes de Pompidou.Peut-être aussi se rend-il compte qu'à tant expliquer qu'il veut verrouiller les cinq ans à venir, il risque de donner l'impression qu'il ne se présentera pas à l'élection présidentielle, l'an prochain. Or, là-dessus, il tient à ne donner aucune certitude, ni dans un sens ni dans l'autre, afin de rester encore libre lui-même.
Pourtant, il impose finalement son arbitrage. Il y aura des chiffres, malgré « la prudence de serpent » de Pompidou. Mais le tout est
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