C'était de Gaulle - Tome II
la manière dont il aura gouverné lui aura attiré la sympathie des Français, alors ses passages à la télévision seront portés à son crédit. Ou bien les Français auront le désir d'être gouvernés par d'autres et autrement, et ses passages à la télévision se retourneront contre lui. On ne pourra pas le supporter : "On l'a assez vu ! Encore lui ! " (Rire.) Tout ça est naturel. Je ne vois pas ce que vous pourriez avoir à y redire.
« On imagine qu'il y a un rapport mathématique entre le temps qu'un homme passe à la télévision et le nombre de voix qu'il obtient. C'est pas vrai ! Sans quoi, Max-Pol Fouchet, qui passe bien à la télé, et très souvent, serait élu Président de la République. »
Pourquoi, plutôt que telle ou telle autre vedette de la télévision, choisir Max-Pol Fouchet ? Peut-être parce que celui-ci s'adresse au téléspectateur, yeux dans les yeux, récitant son texte appris par cœur — bref, comme lui-même.
À la fin de l'entretien, je l'entreprends sur une information que j'ai eue la veille, de la bouche de Vinogradov, l'ambassadeur soviétique.
Lundi 17 février 1964, place de la Concorde.
Gaston Palewski, dans les salons de l'ancien ministère de la Marine, où plane le souvenir de Marie-Antoinette et de son collier, offre un déjeuner somptueux à son homologue soviétique, Roudniev. Vinogradov est mon voisin. Quand la conversation est générale,par le truchement des interprètes, elle reste d'une navrante banalité. Quand « Vino » me parle à voix basse en français, elle devient intéressante :
« Je suis sûr que de Gaulle se présentera. Il y a onze ans que je le fréquente. Quand je suis arrivé en 1953, j'ai demandé au Président du Conseil d' alors — j'ai oublié son nom 1 , vous en avez eu tellement — qui il fallait que j'aille voir en prenant mes fonctions. Je lui ai dit : " J'ai l'intention de rendre visite au général de Gaulle. — Vous n'y pensez pas, c'est absolument inutile ! De Gaulle est un homme fini, il écrit ses Mémoires, il est oublié, enterré." J'ai été quand même le voir, peu après, à l'hôtel Lapérouse. Je l'ai revu fréquemment, de 53 à 58. Je me flatte d'avoir conquis son amitié. Ceux qui croyaient alors en son avenir n'étaient pas foule. Je le connais par cœur. Il a commencé trop de choses énormes, il veut les finir.
AP. — Que pensez-vous des chances de ses adversaires ?
Vinogradov (éclatant de rire). — Il n'en a pas ! Même les communistes sont gaullistes. Regardez, moi, par exemple. On dit que je suis le plus gaulliste des ambassadeurs, et on a raison. Quand j'arrive à Moscou, Khrouchtchev m'interpelle : "Ah, voilà l'ambassadeur de De Gaulle !" De Gaulle s'est fait une place que personne ne peut lui prendre. On ne peut rien contre lui. »
Il me révèle qu'il a « sondé le Quai », pour une invitation de Khrouchtchev au Général à se rendre en visite d'État en URSS.
« Une visite en URSS, je ne dis pas non, mais l'an prochain, c'est exclu »
Le lendemain, 18 février 1964, je demande au Général si cette information est exacte. Il commence par m'envoyer promener : « Vous savez, au Quai, il y a tant de monde...
AP. — Ce voyage pourrait faire évoluer les rapports Est-Ouest.
GdG. — Je ne dis pas non.
AP. — Dans ce cas, vous iriez cette année, ou l'an prochain ?
GdG. — Cette année, le programme est complet. L'an prochain, c'est exclu. »
Puisque cette éventualité l'attire de toute évidence, cela pourrait signifier qu'il l'a programmée en esprit pour 1966. Étrange, ce calendrier virtuel qui se dessine dans son esprit. Est-ce le calendrier du Président de la République française, tel qu'il devrait être, quel que soit son nom ? Ou le calendrier, déjà, du Président de Gaulle ?
« Quand il n'y a pas de campagne électorale, du calme ! »
Au Conseil du 26 février 1964 , je présente le projet de décret sur la campagne présidentielle à la Radio-Télévision, conforme aux directives du Général. Pour chaque candidat, deux heures d' émission à la radio et autant à la télévision. L'ordre de passage sera tiré au sort ; 100 000 francs pour frais de campagne seront remboursés, à condition d'avoir obtenu 5 % des voix. Une commission de magistrats vérifiera l'égalité des candidats.
Après le Conseil.
AP : « Nous serons attaqués sur la durée de la campagne : quinze jours seulement.
GdG. — Expliquez donc que ça ne peut pas durer plus longtemps, puisque la
Weitere Kostenlose Bücher