Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
C'était de Gaulle - Tome II

C'était de Gaulle - Tome II

Titel: C'était de Gaulle - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
Vom Netzwerk:
abaissant son pouce, indiquer à l'extérieur le sens de la déclaration du Général.

    Élysée, Salle des fêtes, 4 novembre 1965.
    À 18 heures, le rituel ordinaire des enregistrements est prêt. Une vingtaine de techniciens s'affairent dans la grande salle, achevant de monter le décor; ils déroulent leurs câbles, pointent leurs caméras vers le bureau vide en faux Louis-XV et la bibliothèque en trompe-l'œil sur contre-plaqué. Toutes les personnes présentes resteront ici, comme dans une bulle, jusqu'à huit heures moins cinq. Nous avons droit à un buffet, dissimulé par un paravent de velours pourpre. Nous sommes prisonniers, mais bien traités.
    Le Général enregistre. Son texte est aussi majestueux que d'ordinaire, aussi imprégné de Bossuet et de Chateaubriand ; et sa mémoire est aussi infaillible:
    « Françaises, Français !
    « Il y a vingt-cinq ans, lorsque la France roulait à l'abîme, j'ai cru devoir assumer la charge de la conduire jusqu'à ce qu'elle fût libérée, victorieuse et maîtresse d'elle-même. Il y a sept ans, j'ai cru devoir revenir à sa tête pour la préserver de la guerre civile, lui éviter la faillite monétaire et financière et bâtir avec elle des institutions répondant à ce qu'exigent l'époque et le monde modernes. »
    C'est beau, c'est noble. Mais est-ce de nature à toucher les téléspectateurs, si portés à la critique, et qui ne suivent le Général les yeux fermés que lorsque grondent les dangers ? Ne vont-ils pas trouver dans ce rappel un argument pour changer de tête ? Un quart de siècle... « Il a fait son temps », commence-t-on à entendre dans les couloirs de l'Assemblée et du Sénat, et pas seulement parmi les parlementaires de gauche. Ce rappel va conforter les railleries ravageuses sur l'auto-célébration.
    Ma perplexité grandit avec le paragraphe suivant.
    « Que l'adhésion franche et massive des citoyens m'engage à rester en fonctions, l'avenir de la République nouvelle sera décidément assuré. Sinon, personne ne peut douter qu'elle s'écroulera aussitôt et que la France devra subir — mais cette fois sans recours possible — une confusion de l'État, plus désastreuse encore que celle qu'elle connut autrefois. »
    Le Général se projette déjà au terme de la campagne : il voit le régime s'écrouler, si un adversaire du régime devait l'emporter — ce qui est presque une lapalissade. Les électeurs, eux, sont au début et ils attendent qu'il explique son choix personnel. C'est en pensant à cette question (« Pourquoi lui plutôt que Pompidou ? ») qu'ils vont interpréter sa réponse. L'écroulement, s'il était battu demain, va être interprété par eux comme l'écroulement s'il ne s'était pas présenté aujourd'hui. Comment Pompidou n'y verrait-il pas un désaveu ?
    Impossible de rien dire. Il m'est arrivé d'obtenir du Général qu'il fasse un raccord pour changer quelques mots. Mais là, c'est la structure tout entière du discours qu'il faudrait changer. Il n'en est pas question, à cette heure et devant tant de témoins.
    L'enregistrement fini et sans bavure, nous avons une heure et demie de captivité devant nous. Nous nous approchons du buffet. Le Général, détendu comme chaque fois qu'il a effectué victorieusement un effort de mémoire, va de l'un à l'autre, tient des propos aimables, se soucie que chacun ait un verre en main, pose des questions aux techniciens sur leur métier. Ils sont éperdus de respect et d'admiration, même ceux qui s'apprêtent à voter Mitterrand.

    À huit heures moins cinq, nous sommes délivrés. Je file droit à Matignon, où j'arrive, pendant la diffusion du discours, dans le bureau de Michel Jobert, où on aperçoit des silhouettes dans la pénombre : les habitués de notre « petit cours » du matin s'y sont réunis, les bureaux ni de Pompidou ni d'Ortoli ne disposant d'un téléviseur. Le silence est tendu. À mesure que le Général parle, j'ai l'impression que le visage de Jobert, d'ordinaire impassible, se décompose. Pompidou, que je n'avais pas vu, se retire sans un mot.
    À la fin, Jobert me déclare sèchement : « Ce n'est guère aimable pour Pompidou. C'est même franchement insultant. En somme, si le Général n'avait pas décidé de se présenter, personne n'aurait pu sauver la République à sa place. »
    On ne peut pas reprocher à un collaborateur intime de préférer son patron au patron de ce patron. Mais si ce loyal serviteur du régime, parfaitement maître de ses

Weitere Kostenlose Bücher