C'était de Gaulle - Tome II
l'a lu soigneusement, et cette lecture n'a pas suscité son enthousiasme :
GdG : « Le directeur général élu ! Vous n'y pensez pas ! Le directeur général ne peut être que nommé par le gouvernement ! Je veux bien, à la rigueur, que le président du conseil d'administration soit élu par ses pairs. Mais le directeur général représentera l'État. Vous ne pouvez pas vous défausser de vos responsabilités ! Vous tenez absolument à abandonner l' autorité que vous donne le statut précédent et à lui substituer une simple tutelle. Mais même pour EDF, ou la RATP, ou la SNCF, ou Renault, etc., sur lesquels leministre compétent n'exerce qu'une tutelle, c'est le gouvernement qui nomme celui auquel l'Etat délègue l' autorité.
« Je fais aussi des réserves sur la composition du conseil d' administration. Avec la moitié des sièges pour le personnel ou pour des gens qui sont du même bord que le personnel, comme la presse, les associations, etc., vous aurez d'emblée une moitié d'opposants. Même les fonctionnaires, nous savons par expérience que, quand ils auront à voter secrètement, il y en aura qui voteront pour un opposant. Et alors, vous aurez un président qui se croira obligé de hurler avec les loups... Sauf peut-être le premier, que vous saurez enchaîner, mais après, vous aurez un président de conseil d'administration qui sera tout le temps à rouscailler contre le Général. »
« Nous sommes à dix-huit mois des élections présidentielles, et le Général ne parle vraiment pas comme quelqu'un qui songerait à s'en aller l'an prochain. Encore une fois 4 , je ressens un décalage net entre sa façon concrète d'imaginer l'avenir et sa volonté déclarée de ne pas donner d'indication sur ses intentions, pour se garder la liberté d'en changer.
« Il ne faut pas admettre que le conseil d'administration soit pour moitié composé de rouspéteurs. Je ne dis pas qu'il faut exclure le personnel, mais il ne faut pas donner la moitié des sièges à tous ces cocos-là 5 .
« Prenez donc d'Ormesson, c'est un serviteur de l'État »
AP. — Mais il n'y a pas seulement le personnel, dans cette moitié !
GdG. — Ce sont tous des adversaires ! Les représentants du personnel sont désignés par les syndicats. Les gens de la presse écrite nous détestent. Les représentants des associations nous sont hostiles ; les autres, les téléspectateurs ordinaires, les pauvres, ils n'éprouvent pas le besoin de faire des associations. Vous avez déjà vu une association des usagers du métro ? ou des autobus ? Les gens normaux demandent simplement que ça fonctionne. Si on voulait donner le pouvoir à des associations d'usagers, on n'y trouverait sans doute que des cocos 6 ou des socialistes.
AP. — Parmi les associations d'auditeurs et de téléspectateurs, il y en a une qui est présidée par François Mauriac. Elle peut se prévaloir du plus grand nombre d'adhérents et elle vous est tout acquise.
GdG (se radoucissant). — Ah bon, je ne savais pas.
AP (ragaillardi). — Pour que le conseil d'administration soit crédible, il faut que les représentants de l'État n'en constituent pas plus de la moitié. Mais pour ceux qui ne représenteront pas l'État, pourquoi seraient-ils à 100 % hostiles à de Gaulle, alors que 60 ou 70 % des Français lui font confiance ? Quant au président, je me fais fort de faire élire celui que nous aurons choisi. Je vous offre de le choisir vous-même et je vous demande de mettre fin aussitôt à mes fonctions si celui que vous aurez désigné n'est pas élu.
GdG. —À qui pensez-vous ?
AP. — À deux hommes prestigieux, tous deux académiciens français : François Mauriac, justement, qui est un téléspectateur assidu, et Wladimir d'Ormesson, grand serviteur de l'État et éditorialiste célèbre. »
Le Général réfléchit un moment, les yeux perdus dans les frondaisons du parc : « D' Ormesson n'a pas le génie littéraire de Mauriac. Mais Mauriac est un sensitif. Il s'enflammera pour le dernier chien perdu. Il vous fera part de ses états d'âme et la terre entière finira par le savoir. Wladimir d'Ormesson est un serviteur de l'État. Il saura faire la part des choses et couvrira bien la direction. Prenez donc d'Ormesson 7 .
« Couper le cordon, ça n'a jamais empêché les mères abusives »
AP. — Vous avez compris avant tout le monde, mon général, que "l'esprit de notre temps" exigeait de faire évoluer l'Empire, l'Algérie, la Constitution, les
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