C'était de Gaulle - Tome II
latélévision, et de la majorité, qui fera chorus pour se faire bien voir. Et nous serons floués ! La Radio-Télévision, avant d'être purgée, sera remise corps et biens à l'opposition, sans que désormais vous y puissiez plus rien ! »
Il ajoute : « Consultez donc Léon Noël 2 . Il sait ce qu'est l'assemblée. Demandez-lui de passer vous voir. »
« Je me demande si nous allons la faire, cette réforme »
Palais-Royal, 16 mars 1964.
J'ai rendu visite à Léon Noël au Conseil constitutionnel. « C' est la première fois que je reçois un ministre en exercice », me dit-il, très fier. Mais son sentiment est le contraire de celui qu'attendait le Général : le statut que je projette est du domaine de la loi. « Enfin, voyez avec René Cassin 3 . C'est lui qui va rapporter. » Il m'accompagne jusqu'au bureau de celui-ci. Ce gaulliste de 1940 est aussi intraitable que Léon Noël :
« Vous savez combien nous avons servi le Général. Mais il faut lui montrer les limites à ne pas franchir. Cette réforme est du domaine législatif, puisqu'elle touche aux garanties fondamentales des libertés publiques. Le Général n'est pas raisonnable, en demandant de faire cette réforme par décret. Il veut trop donner de pouvoir au gouvernement, pas assez au Parlement. Il est passé de l'extrême de la IV e République à un extrême opposé. Il a sauté par-dessus le cheval. »
Tour à tour, Léon Noël et René Cassin me développent la théorie de la fidélité infidèle : « Ce n'est pas servir le Général que de s'incliner devant ses lubies quand il a tort. » René Cassin ajoute : « Quand le Général, en juin 40, m'a demandé de faire les statuts de la France libre, je lui ai proposé de lui donner les statuts d'une Légion étrangère qui serait intégrée à l'armée britannique. "Pas du tout ! m' a-t-il dit. Nous sommes la France ! " C'était grandiose, c'était fou, mais ça n'était pas juridiquement impossible. Aujourd'hui, adopter par voie de règlement un statut qui concerne les libertés publiques, ça n'est pas aussi grandiose, mais c'est juridiquement impossible. Nous devons lui rendre le service de nous y opposer. »
Le lendemain, je raconte à Pompidou ma visite au Palais-Royal. « D'abord, vous avez bien fait d'y aller. C'est de bon ton qu'un jeune ministre se déplace pour voir ces personnages vénérables... Mais le Général va mal prendre cette consultation. Tâchez de lui faire passer la pilule, puisque vous allez le rejoindre en Amérique. »
Pointe-à-Pitre, 19 mars 1964.
Le Général accueille mon récit de fort méchante humeur. « D'abord, vous avez eu tort de vous déplacer. (Pourquoi diable le lui ai-je dit ?) Le gouvernement ne doit pas aller quémander dans des bureaux.
« Quant au fond, c'est dangereux. L'affaire va vous échapper.
Vous vous heurterez à la coalition des jean-foutre qui rivaliseront de démagogie pour faire les jolis cœurs avec la presse. Vous ne tiendrez plus rien à la télévision. Vous ne pourrez plus revenir en arrière. Je me demande si nous allons la faire, cette réforme. Enfin, nous en reparlerons. »
« Il ne faut pas une moitié de rouspéteurs »
Après le Conseil du 25 mars 1964, le Général demande à Pompidou de se joindre un instant à nous pour parler du statut de la RTF. Le Général est résigné, mais il entend nous mettre devant nos responsabilités : si la réforme nous échappe, ce sera notre faute.
GdG : « Je regrette qu'on n'ait pas trouvé le moyen de faire ce statut par la voie réglementaire ! Quoi qu'en dise le Conseil constitutionnel, c'est méconnaître l'article 34 de la Constitution : prérogatives de l'exécutif. »
Pompidou s'efforce de le rassurer. Le décret ferait courir le risque d'une annulation en Conseil d'État ; une loi s'imposera avec plus d'autorité, et nous sommes sûrs de notre majorité.
GdG : « C'est à double tranchant. Actuellement, nous y avons peut-être avantage, mais il n'est pas sûr qu'il en soit toujours ainsi. »
Le Général pense aux précédents à créer ou à éviter. Admettons que l'Assemblée actuelle suive le pilotage gouvernemental. Mais qu'en sera-t-il, quand la main du pilote sera moins ferme, sur une Assemblée qui s'émancipera ? Pompidou est maussade. Il n'apprécie guère ce pessimisme sur l'avenir, qu'il peut prendre comme une défiance à l'égard de ses capacités, ou de ses chances.
Le 8 avril 1964, le Général me donne son sentiment sur mon projet de statut. Il
Weitere Kostenlose Bücher