C'était de Gaulle - Tome II
rapports franco-allemands, etc. "L'esprit de notre temps" exige de faire évoluer l'information. Elle ne peut plus être aux ordres...
GdG. — Comment pouvez-vous dire qu'elle est aux ordres, alors qu'elle ne vous obéit pas ?
AP. — Justement, elle donne l'impression d'être aux ordres. Mais sa nature dans le monde, en tout cas notre monde occidental, empêche qu'on puisse vraiment la commander. La RTF a un statut autoritaire, qui n'est pas conforme à l'état de notre société. Ça se retourne contre nous.
GdG. — Je vois bien ce que vous voulez faire et je ne fais pas d'objection à l'intention. Mais tout est dans la mise en œuvre. Il faut des hommes dignes de confiance. Y en a-t-il suffisamment pour que vous puissiez leur passer la main ? J'en doute.
AP. — On critique tout le temps la télévision, car il n'y a qu'unetélévision d'État ; tandis qu'on ne critique jamais la radio nationale, car elle est concurrencée par Europe, Radio-Luxembourg, Radio-Monte-Carlo. Si les gens ne sont pas contents de la radio nationale, ils en écoutent une autre. Un jour, il faudra une télévision privée pour décomplexer la télévision publique.
GdG. — Vous trouvez qu'Europe et Radio-Luxembourg, c'est si merveilleux que ça ?
AP. — En tout cas, ces deux radios servent de paratonnerre. J' aimerais bien qu'il y ait une télévision paratonnerre. Pourquoi pas la deuxième chaîne, que nous allons avoir ?
GdG (sèchement). — Nous n'en sommes pas là ! Attendons la troisième.
AP. — Le nouveau statut doit couper le cordon ombilical entre le gouvernement et la Radio-Télévision.
GdG. — Couper le cordon, ça n'a jamais empêché les mères abusives. »
En réagissant du tac au tac sur l'image, il se place bizarrement en porte-à-faux : « mère abusive », n'est-ce pas précisément le rôle qu'on reproche au gouvernement ? Il ne me suit qu'à contrecœur, et parce que Pompidou me soutient. Je ne le sens pas à l'aise. Il aime les situations claires.
« J'ai vu que vous aviez usé du vote bloqué, c'est ce qu'il fallait faire »
Matignon, 8 avril 1964. Pompidou me dit, jovial, devant Olivier Guichard, qui m'a beaucoup soutenu : « Enfin, ce statut a fini par aboutir ! Il ne va pas aussi loin que vous l'auriez souhaité, mais c'est plus raisonnable comme ça ! Il faut des transitions. »
Palais-Bourbon, 26 mai 1964. Le débat s'ouvre à l'Assemblée. La manière dont il se déroule justifie les soupirs du Général à l'égard des délices du système parlementaire. Des députés gaullistes, dans le huis-clos du groupe, me reprochent de « brader » l'autorité de l'État, au lieu de procéder énergiquement à la reprise en main qui s'imposerait et de « virer » les trois quarts des journalistes et réalisateurs, qui nous sont résolument hostiles ; mais, à la tribune, les mêmes regrettent que je conserve trop de pouvoirs à l'État.
Palais-Bourbon, 25 juin 1964. Ce jeu ambigu aboutit à une désastreuse commission mixte paritaire. La conjonction des députés ou sénateurs qui s'opposent à la réforme parce qu'elle va trop loin, et de ceux qui s'y opposent parce qu'elle ne va pas assez loin, réussit à déshabiller complètement le projet. L'Office est supprimé, l'établissement reprend son ancien nom de RTF,symbole de la mainmise gouvernementale, et les dispositions les plus significatives de la réforme sont annulées. Il ne me reste plus, en pleine nuit, qu'à imposer un vote bloqué sur le texte gouvernemental. La majorité ne peut que me suivre.
Matignon, 26 juin 1964. Pompidou me fait des reproches : « J'ai horreur du vote bloqué. Ces moyens de coercition mettent les députés en boule. Vous n'auriez jamais dû employer cette arme absolue sans m'en parler !
AP. — Je ne voulais pas vous réveiller en pleine nuit pour vous demander cette autorisation, alors que la commission mixte paritaire avait réduit à néant le texte qui nous a coûté à tous les deux tant d'efforts de persuasion auprès du Général. »
Le Général, lui, au contraire, me complimente : « J'ai vu que vous aviez usé du vote bloqué, c'est évidemment ce qu'il fallait faire. » On n'est jamais trop énergique à ses yeux.
Trente ans après, tout observateur de bonne foi reconnaît que, depuis la Libération, cette loi a pour la première fois entamé le processus de « décolonisation » qui s'imposait, c'est-à-dire la distanciation entre le pouvoir politique et la Radio-Télévision. Les mesures prises
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