C'était de Gaulle - Tome II
réservé au cabinet du ministre, et le dernier étage à son appartement. Y avaient vécu, depuis la Libération, la plupart des trente-deux ministres ou secrétaires d'État à l'Information, parmi lesquels André Malraux, Pierre-Henri Teitgen, Gaston Defferre, François Mitterrand, Jacques Soustelle. En m'installant dans ce qu'on appelait déjà « le palais gruyère », je ne ferais que perpétuer une tradition, déjà inaugurée au début de la guerre par Jean Giraudoux. J'avais indiqué à Bordaz que, puisque la RTF déménageait, il valait mieux qu'elle s'installât seule dans ses meubles.
Le Général n'insiste pas. Pourtant, je sais bien que, pour lui, le Président de la République doit habiter à l'Elysée, le Premier ministre à Matignon, le ministre de l'Intérieur place Beauvau, le ministre de l'Information à la Radio : là où ils exercent leur commandement. Immédiatement opérationnels, même la nuit. Refuser que ses enfants soient élevés dans des palais nationaux, c'est se dérober aux obligations de la charge.
« Un jour, on fera un lock-out »
17 février 1964. Nous avons procédé hier soir à ce que les syndicats de la RTF appellent « un coup d' État ». Depuis quelque temps, des grèves à répétition privent de télévision le public, qui n'est pas pour autant dispensé de la redevance. Les syndicats refusent catégoriquement pour la télévision le service minimum, qui a été pourtant admis depuis 1956 pour la radio. Nous avons préparé secrètement sous la tour Eiffel un studio qui avait été construit à l'époque de l'OAS. À 20 heures, alors, que l'écran était désespérément noir, on voit tout à coup paraître Edouard Sablier 1 , qui donne sobrement les informations du jour, suivies de plusieurs films de court-métrage.
L'effet de surprise a été total. N'étaient dans le secret que ledirecteur général Bordaz, le directeur technique Mercier et quelques ingénieurs, ainsi qu'Édouard Sablier. Les syndicats sont restés aussi stupéfaits que si les martiens avaient débarqué. Ils ont vite compris que nous avions les moyens de ce programme minimum dont ils ne voulaient pas et que les téléspectateurs réclament : des informations et de bons films. La grève a cessé comme par enchantement. Le programme minimum entre dans les faits.
« Vous ne pourrez pas tenir devant la conjonction de l'opposition et de la majorité »
Salon doré, 26 février 1964. L'occasion est bonne pour pousser mon projet de statut. Le Général ne voulait pas en entendre parler, tant qu'il n'y avait pas eu d'acte de force. Georges Pompidou me disait : « Remettez d'abord de l'ordre ». Le conseil était bon à suivre.
Le Général me félicite du « coup » réussi.
« Qu'il s'agisse des syndicats agricoles, des services publics, de l'UNEF, de la RTF, ce sont toujours des gens qui ignorent la loi de 1881. Ce qu'ils veulent, ce n'est pas défendre leurs intérêts. C'est arracher le pouvoir. Ils veulent que l'État se soumette à leur loi.
AP. — Ils y sont même arrivés. En tout cas, à la RTF.
GdG. — Notre raison d'être, c'est de rendre à l'État son autorité, qui repose sur la volonté du peuple, et non pas sur la combine de quelques-uns qui prétendent s'imposer par l'intimidation.
AP. — À la RTF, on en était arrivé à ne plus oser programmer une émission sans l'accord des syndicats.
GdG. — Mais pourquoi vous laissez faire ? Pourquoi ?
AP. — Je m'efforce de gagner à la main peu à peu ; mais c'est au risque de provoquer des grèves, chaque fois que nous brusquons un peu trop les choses.
GdG. — Un jour, on fera un lock-out. (Il prononce lockoutte, comme les ouvriers.)
AP. — Un lock-out ne sera possible que si nous avons les structures nécessaires pour passer outre aux syndicats. Il faut transformer l'état d'esprit, qui veut que la direction administre et que les syndicats dirigent. »
Je saisis l'occasion pour lui présenter les grandes lignes du statut sur lequel je travaille depuis plusieurs mois. Le Général pose une condition :
« Je veux bien que vous prépariez un projet de décret. Mais si vous vous lancez dans une loi, vous ne vous en sortirez pas. Vous aurez toutes sortes d'amendements démagogiques que la majorité se croira obligée de voter. »
Sa méfiance à l'égard du Parlement renforce sa méfiance sur le statut : « Vous ne pourrez pas tenir, devant la conjonction de l'opposition, qui voudra vous arracher tout contrôle sur la radio et
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