C'était le XXe siècle T.1
réentoiler : avec les imprévus, trois semaines au moins de travail. Il n’en est pas question. Et la Manche ?
Ce jour-là et les trois jours suivants, Grandseigne se contentera donc de tendre à l’intérieur de chaque aile les quatre « cordes à piano ». Puis il recollera le bord avec un ruban de toile tout neuf. Et enduira de nouveau la toile extérieurement.
— Extérieurement, m’a dit Robert Grandseigne, les ailes donnaient un aspect très satisfaisant, mais l’intérieur était douteux.
C’est sur cet appareil, appuyé sur ces ailes « douteuses », que Blériot, quelques jours plus tard, va entreprendre le vol le plus téméraire de l’histoire de l’aviation.
Le 18 juillet, Blériot participe à un meeting à Douai. En 1909, un aviateur est un peu comme de nos jours une vedette de cinéma. Il lui faut soigner sa publicité, ne pas se faire oublier. Pour cela, voler le plus souvent possible. La présence à un meeting est payée cher par les organisateurs. À Douai, Blériot décolle sur son biplace à moteur E.N.V. Il vole avec un passager, Julien Mamet.
L’appareil s’est élevé sous les applaudissements du public. Le Nord est fier de Blériot. Le moteur tourne régulièrement. Tout va bien ! Trop vite dit. Le manchon d’amiante qui recouvre le tuyau d’échappement est arraché, emporté par le vent. La cheville du pilote est en contact direct avec le tuyau.
Au bout d’une demi-heure, le soulier est percé. Dans une fumée nauséabonde, les chairs commencent à rôtir. Quarante-deux minutes. L’appareil se pose. Mamet aide Blériot à descendre. Il est profondément brûlé.
Dans le train qui le ramène à Paris, il allonge tant bien que mal sa jambe bandée. Sur ses genoux, un numéro du Matin avec ce titre : « Hubert Latham est arrivé à Sangatte. »
Latham. Probablement l’aviateur le plus populaire du moment. La France de 1909 raffole de sa silhouette dégingandée, de son élégance, de son sourire toujours ironique, de son impertinence. C’est lui qu’interrogeait un jour le président Fallières :
— Et vous, mon garçon, que faites-vous à part l’aviation ?
— Homme du monde, monsieur le président !
À Wissant, le comte de Lambert attend près de son biplan Wright l’instant de s’envoler vers l’Angleterre. Latham, lui, a choisi Sangatte et l’ Antoinette . Avec l’ingénieur Levasseur qui promène sa barbe rousse et son impatience dans les escaliers cirés de l’hôtel de la Plage, il se ronge les ongles. Si cet horizon pouvait se dégager !
Le lundi 19 juillet, pas un nuage ! On sort l’ Antoinette de son appentis bâché, élevé contre le mur d’une petite usine. Un matelot grimpe sur le toit de zinc. Il hisse un signal pour alerter le torpilleur Harpon qui doit convoyer l’aéroplane.
À 6 h 45, on lance le moteur de l ’Antoinette . Quand Latham pique vers le large, une immense acclamation l’accompagne. Plus d’un millier de curieux – d’enthousiastes plutôt – ont assisté à son départ. À 7 h 4, le point noir qu’est l’avion de Latham disparaît définitivement. Deux navires de guerre le suivent : le Harpon et le Calaisien .
8 heures. Le Daily Mail a installé un appareil de télégraphie sans fil entre Douvres et Sangatte. Une dépêche. Déception : on n’a rien vu à Douvres.
8 h 45. Un représentant de la Chambre de commerce de Calais accourt. Il vient de recevoir un message par pigeon voyageur : Latham est tombé en mer. C’est le torpilleur Harpon qui l’a aperçu au milieu du détroit, à quinze kilomètres des côtes anglaises, tranquillement assis sur les ailes de son avion qui s’enfonçait. Les pieds dans l’eau, il fumait une cigarette !
Boulevard Maillot, à Paris, un télégramme a annoncé à Blériot l’envol de Latham. Allongé sur une chaise longue, il soigne la brûlure de sa jambe. Le médecin a dit :
— Repos complet. Pas d’imprudence !
— Latham est parti… Il doit réussir, affirme Blériot.
L’ Antoinette est une bonne machine. Peut-être meilleure que le BL XI, dont son constructeur doute lui-même quelquefois. N’a-t-il pas failli adopter le Goupy au moteur plus puissant ? Alice entre en courant :
— Latham…
— Eh bien, quoi ?
— Latham a échoué !
Puisque Latham est sain et sauf, il est humain que Blériot se réjouisse. Tout pâle, les yeux brillants de fièvre, il crie à sa femme :
— Je pars !
Bien sûr, il y a
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