C'était le XXe siècle T.1
« patron ».
25 juillet : 2 h 10 du matin. À l’hôtel Terminus, Alfred Leblanc ouvre un œil. On s’est couché à minuit. Pourquoi s’éveille-t-il si tôt ? Alors seulement Alfred Leblanc comprend. Dehors, il n’y a plus aucun bruit. La tempête s’est tue. C’est le calme qui l’a éveillé. Il se lève, court ouvrir la fenêtre. Ce qui l’enveloppe, c’est l’air humide. Rien d’autre. Il n’a pas rêvé : plus un souffle de vent. Il s’habille, décide d’alerter Blériot.
À la même heure, à l’hôtel des Dunes, Anzani s’est réveillé, lui aussi. Pour la même raison. Il a ouvert sa fenêtre. Pas un nuage, pas de vent. Anzani hurle :
— Le padrone , il partira ce matin !
Il arrache à demi la porte de sa chambre, se rue dans l’escalier, tire quelques coups de revolver pour se calmer les nerfs. Mamet et Collin accourent.
— La macchina , hurle Anzani, préparez la macchina .
Il a sauté dans son automobile avec Leblanc, démarré en trombe. À toute allure, il roule vers l’hôtel Terminus. La voiture stoppée, Anzani pousse d’effroyables clameurs :
— Blériot, hé ! Blériot ! Il tempo , il est bon !
Il manque renverser le gardien de nuit, grimpe quatre à quatre chez Blériot. Tout l’hôtel est réveillé par le typhon Anzani. Les portes s’entrouvrent, les fenêtres battent.
Anzani pousse la porte de Blériot qui, de son lit, grogne :
— … jour !
Il vient de passer une très mauvaise nuit. Il se soulève sur ses oreillers, grimace de douleur, souffle à Anzani, qui trépigne, et à Leblanc :
— Je crois… pourrai pas partir aujourd’hui.
Alice renchérit :
— Regardez-le, monsieur Anzani. Ce serait de la folie. Demain, peut-être…
Un hurlement d’Anzani fait trembler les vitres de tout l’hôtel :
— Domani !
Il est heureux qu’Alice ignore les langues étrangères. La bordée d’injures qui jaillit de la bouche d’Anzani ne l’atteint pas, tout au moins directement. Pour finir, l’argument suprême :
— Mon motor ! Payez-moi mon motor !
Blériot hausse les épaules. Anzani sait bien qu’il n’a pas le premier sou pour le payer. Allons, il va falloir voler. Au moins, essayer. À grand-peine, il sort de son lit, s’habille.
Anzani a pris les devants. Il est parti préparer « son » moteur. Quelques instants plus tard, Blériot roule vers son camp, en compagnie de Leblanc. En route, les deux hommes n’échangent pas une parole.
Sur place, tout est prêt. Le BL XI n’attend plus que son maître. Tout le village, éveillé, forme cercle autour de l’appareil. Il est 4 heures. Le ciel est pur, il n’y a ni vent ni brume, pas encore de soleil.
Méticuleusement, amoureusement, Anzani inspecte une dernière fois les rouages du moteur. Mamet attache au fuselage un gros ballonnet d’air qui doit soutenir l’appareil sur l’eau, en cas de chute. Collin qui précédemment a monté sur le longeron une boussole, à droite du fuselage, s’assure que les deux accumulateurs peuvent être utilisés indifféremment par Blériot en cas de défaillance de l’un d’eux. Chacun est prévu pour durer neuf heures.
L’air vif paraît avoir rasséréné Blériot. Il souffre moins. Alors que, la veille encore, il avait fallu le porter vers son appareil, cette fois il y monte seul. Il va effectuer un petit vol d’entraînement. Moteur. Un incident pénible : un petit chien est happé par l’hélice. Blériot n’en décolle pas moins. Il reste une dizaine de minutes dans les airs, agréablement surpris de constater un petit vent frais qui vient de la terre, un vent de marée qui le poussera vers la Manche.
Le règlement veut que le départ ne soit donné qu’après le lever du soleil. Après avoir atterri, Blériot attend donc. Nerveusement, il tire de sa cigarette bouffée sur bouffée. Leblanc, au sommet d’une dune, guette l’apparition du disque rouge au-dessus de l’horizon. Mamet attache les béquilles sous le siège de l’avion.
— Patron, vous en aurez besoin quand vous serez en Angleterre !
On a fait le plein d’essence : dix-sept litres. Le moteur a reçu sa pleine dose d’huile de ricin.
— N’oubliez pas de pomper toutes les trois minutes pour maintenir la pression d’huile, dit Collin.
Blériot lance :
— Si je réussis, 1 000 francs pour vous, Mamet, 1 000 francs pour vous, Collin.
— Merci, m’sieur Blériot, vous réussirez !
Alors, une extraordinaire
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